Si vous n’étiez pas encore entré en hibernation ou parti faire un tour dans l’espace la semaine dernière, vous avez forcement entendu parler de ce patient polonais qui, paraplégique depuis 4 ans « remarcherait » depuis qu’on lui aurait « greffé des cellules du nez dans le dos ».
Dit comme ça, l’histoire peut paraître drôle, et pourtant compte tenu de « l’enflammade » médiatique (TV, Radios, Journaux …), initié par la BBC il semblerait que cette histoire soit bien vrai.
Actukiné va donc tenter de décrypter cette info pour savoir si les médias en font toujours trop ou si l’on assiste vraiment à une avancée majeure pour les blessés médullaires.

L’histoire commence en 2012, un patient paraplégique depuis 13 mois se voit proposer une greffe de cellules souches issues de son bulbe olfactif dans le but de stimuler la récupération sensitivo-motrice en dessous de sa lésion.

Technique de transplantation cellulaire

Le protocole d’essai se compose, pour la partie médicale, d’une biopsie de la muqueuse olfactive, de la culture de cellules engainantes olfactives, et d’une greffe de cellules intra-rachidienne.
Plus d’infos ici ou ici

Tableau clinique du patient avant l’opération et évolution post-opératoire

A 13 mois de l’accident le patient présente une lésion médullaire complète (ASIA A), niveau neurologique T8 avec une zone de préservation partielle en T9.
Un score sensitif de 31/56 points pour le toucher léger et la piqûre des 2 cotés.
Un score moteur de 0 pour les 2 membres inférieurs.
Le signe de Beevor était positif ce qui suggère une innervation préservée de la portion haute du grand droit.
Le patient présentait également une spasticité importante des membres inférieurs (4 à 5 sur l’échelle d’Ashworth)

Les auteurs précisent que le patient n’aurait pas progressé d’un point de vue neurologique durant les 13 premiers mois de rééducation. Rééducation interrompue toutefois régulièrement pour escarres, infections pulmonaires et phlébites. Le patient a donc suivit une rééducation intensive (5h/j, 5J/sem) pendant 8 mois avant d’être opéré pour s’assurer que son statut neurologique était bien stable.
Il semblerait que le statut neurologique ainsi que fonctionnel n’ai pas évolué durant cette période d’entrainement pré-opératoire.

Au final
Pour le statut neurologique, à 19 mois de l’opération, le patient serait passé d’une lésion médullaire complète (ASIA A) à une lésion médullaire incomplète motrice (ASIA C).
Le patient aurait récupéré de la sensibilité au toucher sur 2 dermatomes à droite et 1 seul à gauche.
Pour la sensibilité à la piqure, 5 dermatomes supplémentaires seraient innervés à droite contre 1 seul à gauche.
Pour ce qui est de la récupération motrice, le patient aurait récupéré la flexion de hanche (MRC =1) à gauche, les extenseurs de genou (MRC=2 à gauche et MRC=1 à droite) ainsi que les adducteurs (MRC=3 à gauche et MRC=2 à droite)

(Ci-dessous, les 2 fig résumant l’évolution des scores ASIA sensitifs et moteurs avant et après 10 mois post-op)

Au niveau fonctionnel, le patient serait capable actuellement de marcher avec un rollator et 2 cruro-pédieuses (verrouillées uniquement aux chevilles) sans assistance physique sur une dizaine de mètres (WISCI II = 9)
Son score à la MIF serait passé quant à lui de 102 à 124 points.

Commentaires Actukine

Marino et al. ont calculé que le changement minimum détectable était de 4.1 pts pour le toucher léger et de 5.9 pts pour la piqûre. L’évolution pour ce patient semble donc cliniquement pertinente. Seulement, l’évaluation n’ayant pas été réalisée en aveugle du traitement, les résultats sont exposés au risque de biais de surestimation.
Les résultats de ce patient doivent être confirmés sur suffisamment d’autres patients pour pouvoir émettre des conclusions cliniques. Actuellement 2 essais cliniques non randomisés, Tabakow et al. 2013, Mackay-Sim et al. 2008, semblent suggérer une amélioration des patients mais toujours de manière très limitée (récupération d’un ou plusieurs dermatomes mais pas d’amélioration motrice par ex)
Un essai clinique randomisé avec groupe contrôle (réalisant une rééducation aussi intensive) à plus grande échelle permettra peut être de savoir quelle est la part de récupération que l’on peut incomber à la greffe de cellules souches et quelle part est due à la rééducation intensive.

Pour résumer le patient aurait effectivement bénéficié d’une récupération sous-lésionnelle mais très limitée fonctionnellement, le patient peut effectivement remarcher mais cette marche est loin d’être fonctionnelle (un patient présentant une lésion complète avec un niveau neurologique L2 peut marcher avec un niveau équivalent). L’emballement médiatique est donc a prendre avec des pincettes, car le message reçu par nos patients est souvent « je vais pouvoir remarcher comme avant !! ».

A nous d’informer nos patients plus objectivement, sans toutefois perdre espoir pour l’avenir de la récupération après lésion médullaire.
A défaut de pouvoir « soigner » nos patients, il nous reste encore beaucoup à faire pour « prendre soin d’eux » …