Les controverses sont toujours intéressantes à condition d’être bien construites. Voici un très bel exemple publié dans Intensive Care Medicine qu’il faudra resituer dans le contexte particulier des soins intensifs où chaque décision n’a pas le même poids que dans un service de réhabilitation par exemple. Les réponses données ont évidemment tenu compte de ces aspects et on verra que certains débateurs généralisent leur réflexion sur les principes critiqués quand d’autres localisent la réflexion dans la spécificité du soin vital.
 
 
La question posée était de savoir sur quoi s’appuyer pour prendre une décision thérapeutique dans l’optique d’améliorer le taux de survie des patients en phase critique : les essais randomisés seraient ils plus utiles qu’une approche personnalisée ?
 
Le « OUI »
Le raisonnement proposé par le oui est évidemment très orienté sur la science. Toute la médecine est personnalisée par définition, tout ce qui soigne un individu et non pas des populations entières, en tenant compte des singularités.
Les auteurs soulignent parfaitement le fait que pour chaque patient dans chaque situation il y a des différences, il existe une dynamique, une certaine complexité et que toutes les connaissances vont être interprétées et appliquées à travers toute ces aspects de l’individu.
La question devient pour eux de savoir comment appliquer les résultats d’ECR à un niveau individuel.
Le raisonnement s’affaibli un peu quand les auteurs utilisent un argument caricatural qui rappelle qu’autrefois étaient préconisés sans preuves « l’arsenic, les sangsues, les saignées, des lobotomies et les lavements » (pas en une seule fois !). Toutefois la résurgence actuelle de traitements saugrenus invite à garder à l’esprit des images de ces époques durant lesquelles on mourrait autant des traitements infligés que des maladies elles mêmes.
 
L’étude d’un seul cas ne permet pas de décider du traitement qui doit être déterminé à partir d’essais de grande envergure.
Si on ne se réfère qu’au patient le risque serait de rentrer dans une procédure livrée au hasard.
A cela s’ajoute le fait que le clinicien est à la fois « juge et partie », il administre et mesure des résultats qu’il ne saura pas attribuer à ses choix.
Un OUI fortement partisan de la science au service du clinicien.
 
Le « ON N’EST PAS SUR »
Les auteurs mettent en avant la contradiction qui peut exister à vouloir comparer deux approches opposées de la médecine.
Les essais randomisés généralisent des résultats au niveau de groupes homogènes de populations. A contrario la médecine personnalisée est par définition individuelle et comparer ces deux approches revient à « comparer des pommes et des oranges ».
On peut y voir une pointe d’ironie peut être quand les auteurs s’en remettent à une définition scolaire de la médecine personnalisée (soin, traitement adapté à un patient individuel) qui conduirait jusqu’à la maxime d’Hippocrate : « soigner un patient pas une population », donc un retour aux sources encore vierges de la médecine.
Puis en poussant ce raisonnement de toujours plus de personnalisation ils aboutissent au traitement du génome, rien de moins.
Le rappel que les ECR ne sont pas des méthodes de soins mais rien d’autre que des expérimentations parait évident et pourtant il est nécessaire de toujours répéter que la science ne crée pas de contraintes, bien au contraire. La pseudo science est pourvoyeuse de contraintes, c’est même un des critères d’identification.
Une expérimentation ouvre un nouveau champ de connaissance dont le point de départ sera systématiquement « l’expérience, les observations, la physiologie ». Au fil des investigations les groupes étudiés peuvent être réduits en sous groupes plus spécifiques qui ouvrent vers justement une personnalisation du traitement étudié. On peut y voir une tendance de la recherche vers l’individualisation des expériences. C’est pas faux !
Au final ni pour ni contre bien au contraire.
Seulement dans ce genre d’exercice imposé de la controverse on s’attend à des avis tranchés. C’était sans doute la voix(e) de la raison.

 
Le NON
Une critique pertinente et largement partagée est de dire que les ECR rassemblent des sujets avec des différences malgré justement le lissage pour homogénéiser la population étudiée. Parce qu’en clinique les patients sont hétérogènes, de fait les traitements sont adaptés. L’idée de considérer des sous groupes de patients fait son chemin, l’auteur insiste sur cet aspect. On retrouve cette réflexion en thérapie manuelle ou les traitements perdent en valeur du fait de l’hétérogénéité. En réhabilitation pour les muscles respiratoires aussi la répartition en sous groupes aurait davantage de sens.
L’auteur, tres habitué des raisonnements théoriques solides et argumentés, poursuit avec des exemples trop précis pour servir de généralisation mais suffisants pour donner envie de pousser la réflexion un peu plus loin.
Il n’a échappé a personne (espérons !) que la recherche clinique tente de d’améliorer ses méthodes et que nous allons traverser une période de changement, de reforme méthodologique.
Le tableau qui décrit les difficultés rencontrées lors d’essais randomisés en soins intensifs est une formidable proposition de remise en question des méthodes d’investigations.
 
Nous pouvons retenir  notre niveau qu’il faudrait beaucoup plus de précision dans la caractérisation des patients, autrement dit une évaluation méthodique comme les kinés savent brillamment le faire.
 
C’est peut être aujourd’hui, ici et maintenant que nous pouvons nous approprier le verbe « phénotyper ».
 
 
Au final nous pouvons retenir de ces exposés qu’il en est de même en kinésithérapie si le clinicien se limite à ses seules connaissances il applique des choix centrés sur lui et non sur le patient. Malgré tout, le champ technologique de la kinésithérapie est tellement vaste qu’il est très difficile de choisir sans une méthode rigoureuse, une formation suffisante, une curiosité indispensable.
Se pourrait il que les kinésithérapeutes qui soutiennent la mise en œuvre de traitement taillés pour leur patients ne soient en réalité des kinés qui personnalisent leur traitement à leurs propres goûts ?
L’alibi « personnalisé au patient » revient à dire « personnalisé au kiné ».
 
La question qui reste en suspend est de savoir quoi faire quant il n’y a pas de référence précise pour un cas très particulier.
 
Article le Oui
Article le On n’en est pas sur
Article le Non

Bellomo, R., Landoni, G., & Young, P. (2016). Improved survival in critically ill patients: are large RCTs more useful than personalized medicine? Yes.Intensive Care Medicine, 1-3.

Gattinoni, L., Tonetti, T., & Quintel, M. (2016). Improved survival in critically ill patients: are large RCTs more useful than personalized medicine? We are not sure. Intensive Care Medicine, 1-3.

Vincent, J. L. (2016). Improved survival in critically ill patients: are large RCTs more useful than personalized medicine? No. Intensive Care Medicine, 1-3. 
 
*Post-scriptum
Le titre humoristique de ce commentaire d’article est expliqué ci-dessous.
Titre

Et une autre version là, par les Guignols de l’info avec cette citation d’un ancien premier ministre, qui parodie le film de Gus Van Sant “Last days” sur les derniers jours du chanteur Kurt Cobain. De Gus Van Sant le film “Elephant” est à voir absolument.
Bonus