La sensibilisation est considérée comme une forme d’apprentissage implicite qui fait suite à l’exposition à un stimulus nuisible. Attention à ne pas oublier assez que le stimulus en question peut être réel ou potentiel (cf la définition de la douleur par l’IASP). Classiquement, lorsqu’on évoque cette sensibilisation en présence d’un danger réel (en laboratoire par exemple), on parle principalement des changements « adaptatifs » du système nerveux au niveau des voies de traitement de la nociception. Des chercheurs de l’institut de neurosciences de l’UCL ont voulu savoir si ces changements pouvaient intéresser d’autres modalités sensorielles. Il est en effet très fréquent que les patients douloureux chroniques décrivent une hypersensibilité à un large éventail de stimulations notamment non somato-sensorielles.

Méthode : 26 cobayes sains ont participé à cette étude. Un de leurs avant-bras a été stimulé à l’aide d’un courant électrique de haute fréquence (5 trains de stimulation de 100Hz répartis sur 50s), l’autre a servi de contrôle. Des stimuli visuels étaient réalisés au moyen de deux lasers verts sur les mêmes zones corporelles. Un EEG servait à enregistrer les réponses cérébrales en temps réel (mesure des VEPs-Visual event-related brain potentials). Pour exclure la possibilité d’une attention majorée envers l’avant-bras sensibilisé, les auteurs ont monitoré les mouvements oculaires des sujets avec un système de tracker infrarouge. Pour vérifier que la stimulation électrique provoquait bien une hyperalgésie un testing mécanique était réalisé. Tous ces tests étaient réalisés juste après l’administration du courant électrique mais aussi à 20min et 45min post-stimulation (respectivement T0,T1,T2).

Résultats : les stimulations visuelles des avant-bras engendraient à l’EEG une vague négative N1 dont le pic se situait environ 150-160ms après la stimulation et maximale au niveau du vertex. Une déflection positive P2 apparaissait 200-300ms après la stimulation. L’amplitude de N1 était significativement plus grande dans le cas de la stimulation électrique de l’avant-bras par rapport au contrôle. N1 diminuait significativement à T1 seulement sur l’avant-bras contrôle. Ces effets étaient retrouvés pour l’amplitude de P2. A T2, il n’existait plus de différence significative entre les deux avant-bras alors que l’hyperalgésie mécanique existait toujours au niveau de l’avant-bras ayant subi la stimulation électrique.

Conclusion : les auteurs apportent une preuve supplémentaire qui montre que les mécanismes de sensibilisation centrale dépassent largement le système nociceptif : ils parlent d’ailleurs volontiers de sensibilisation cross-modalités (“crossmodal sensitization”). Pour eux, une sensibilisation amenée par l’activation intense et prolongée des nocicepteurs impliquent au moins deux mécanismes adaptatifs différents qui ont des évolutions temporelles propres :
– L’un des mécanismes, bien décrit dans la littérature est la modification des réponses à des stimuli mécaniques de la zone sensibilisée par augmentation des réponse des neurones spinaux nociceptifs : ce mécanisme se prolonge largement dans le temps (il subsiste plusieurs heures après l’arrêt de l’application du courant)
– L’autre mécanisme est supra spinal et implique une amplification cross-modalités des réponses à des stimulations visuelles projetées sur la zone corporelle concernée. Ce mécanisme dure moins longtemps (ici une vingtaine de minutes).

 

Références

Torta DM, Van Den Broeke EN, Filbrich L, Jacob B, Lambert J, Mouraux A. Intense pain influences the cortical processing of visual stimuli projected onto the sensitized skin. Pain. 2017 Apr;158(4):691-697. doi: 10.1097/j.pain.0000000000000816.
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