Se mouvoir sans voir
L’équipe de recherche "Santé Individu Société" de l’université Lumière Lyon 2 a mis en ligne la thèse de doctorat de psychologie de Nicolas Baltenneck, soutenue en novembre 2010. Voici un travail qui va intéresser particulièrement nos confrères mal et non voyants. Voici un travail qui va également tous nous intéresser car il traite de la locomotion, de la perception sensitivo-motrice ainsi que des représentations mentales de l’espace.
Vous trouverez in extenso le résumé de l’auteur ci dessous. Mais la lecture plus approfondie vous donnera des éléments intéressants sur la vitesse de marche, qui est corrélée à la prise d’informations (et vous lirez les capacités perceptives étonnantes développées par certains aveugles), qui est aussi corrélée à la prise de décision (et vous noterez l’importance de l’environnement et de l’architecture), et qui est corrélée (autre variable choisie par l’auteur) au stress (mesuré par la réponse electrodermale, sensible à l’activité du système nerveux autonome). A titre de curiosité, un détecteur de mensonge de Marey (est ce le même ?) est présenté.
D’autres thèmes sont évoqués : la capacité à se représenter et à mémoriser l’espace, la question de Molyneux, la perception active, la vision qui serait le sens spatial par excellence, l’affordance du milieu…
Sans nul doute certains enseignements sont à tirer pour ceux qui s’occupent des personnes âgées touchées peu ou prou par une cécité tardive, en prenant en considération les différences avec la cécité précoce. Des enseignements aussi pour ceux qui utilisent la marche aveugle comme exercice de rééducation.

Voici le résumé de l’auteur
"Cette recherche propose d’étudier l’incidence de l’environnement urbain sur certains aspects du déplacement de la personne aveugle. Dans une approche écologique, nous prenons en considération plusieurs paramètres en étudiant, en situation réelle, la perception et le ressenti liés à l’environnement, la vitesse de marche, la représentation mentale et enfin le stress, vécu et objectivé.

Nous faisons l’hypothèse que la structure urbaine a un effet notable sur l’ensemble de ces paramètres, affectant ou facilitant le déplacement. Notre protocole a mobilisé 27 personnes aveugles, utilisant une canne blanche ou un chien-guide sur un trajet urbain de 1 km, qui offre cinq scènes urbaines successives (« Ruelle A », « Place », « Berges », « Rue » et « Ruelle B »). La première session s’est faite au bras du chercheur afin d’étudier la perception et le ressenti liés à l’environnement, grâce à la technique des trajets commentés. La seconde session a été consacrée à la mémorisation du trajet. Enfin, la troisième session, intégralement enregistrée sur vidéo, a consisté en un déplacement autonome. Nous avons également enregistré l’activité électrodermale in situ, afin d’en saisir les variations au fur et à mesure du trajet. Nous avons, enfin, demandé aux participants de dessiner le trajet effectué (carte mentale).

Les résultats indiquent que les différentes scènes présentent des ambiances vécues comme très différentes par les marcheurs aveugles. L’environnement influence le ressenti en termes de plaisir, de sentiment de sécurité et de stress. Il influence également la vitesse de marche, ainsi que la capacité à mener le trajet à son terme. Les « Ruelles » et la « Rue » sont les scènes les plus favorables au déplacement, alors que les espaces ouverts comme la « Place » et les « Berges » se sont avérés défavorables. L’analyse de l’activité électrodermale révèle également un effet de la scène. Elle nous a permis d’identifier des zones problématiques sur le trajet. Ces nœuds correspondent aux lieux où les marcheurs aveugles doivent prendre des décisions importantes (traverser la chaussée, choisir une orientation). Enfin, la représentation mentale semble être en rapport avec les aspects précédents et varie en fonction des scènes. Les lieux les plus sécurisants sont sous-représentés, alors que les lieux vécus comme les plus stressants sont surreprésentés dans les dessins.

Ces résultats invitent à prendre en considération la perception incarnée et l’expérience que les personnes aveugles ont de leur environnement dans l’élaboration des aménagements de nos cités, pour permettre à tous une meilleure autonomie et liberté de déplacement."