La taxonomie de l’IASP à propos de la douleur chronique est sans doute trop "simple pour être honnête". Basée, rappelons-le, sur les mécanismes initiateurs de la douleur, elle évoque deux types de douleur : la douleur nociceptive et la douleur neuropathique. La douleur idiopathique n’est pas évoquée sur le site de l’IASP mais correspond à une douleur qui n’appartient pas à l’une ou l’autre des catégories précédentes (1).

L’avant et l’après 2011

En 2011, l’IASP modifie sa définition de la douleur neuropathique (2). Jusqu’alors, elle la considérait comme une "douleur initiée ou causée par une lésion primaire ou une dysfonction du système nerveux". Le terme "dysfonction" prêtait à confusion et la douleur neuropathique était devenue une sorte de fourre-tout. La nouvelle définition de Treede fait disparaitre ce terme et exclut de nombreuses pathologies du cadre neuropathique. Parmi elles, on retrouve des individus dont l’histoire ne permet pas d’objectiver une activation nociceptive majeure, pas plus qu’une neuropathie au sens actuel du terme. C’est le cas, par exemple, des patients porteurs d’une fibromyalgie, d’un SDRC de type 1, d’une lombalgie chronique non spécifique ou encore de désordres fonctionnels viscéraux… Bref, cela fait du monde !

En fait, la note qui accompagne la redéfinition de la douleur nociceptive de 2011 assume que le terme de douleur nociceptive "contraste" avec la douleur neuropathique puisque, dans le premier cas, le système somatosensoriel possède un fonctionnement normal ("nociceptive pain—pain that arises from actual or threatened damage to nonneural tissue and is due to activation of nociceptors—states: This termis designed to contrast with neuropathic pain. The term is used to describe pain occurring with a normally functioning somatosensory nervous system to contrast with the abnormal function seen in neuropathic pain").

Ce revirement n’est pas sans conséquences : il perpétue tout d’abord la dichotomie nociceptive/neuropathique, mais cette fois, en direction de la douleur nociceptive qui devient la catégorie par défaut (la définition de la douleur neuropathique de Treede étant plus restrictive).

2016 : un nouveau tournant ?

L’objet du récent papier de Kosek et al. (3) est de discuter l’intérêt d’adopter un nouveau descripteur mécaniste pour dépeindre les états douloureux où la fonction nociceptive est altérée.

Critiquer c’est bien, proposer c’est mieux !

Les auteurs proposent donc :
– D’inclure une note sur la douleur nociceptive mentionnant que le terme est utilisé pour décrire une douleur survenant en présence d’un système somatosensoriel possédant un fonctionnement normal et que ce type de douleur ne doit pas être défini par défaut (c’est-à-dire comme alternative à la douleur neuropathique)
– De confirmer la définition actuelle de la douleur neuropathique (mais pas par défaut non plus !)
– De créer une troisième catégorie pour les patients dont on ne peut démontrer l’activation des nocicepteurs ou qui ne correspondent pas aux critères de la définition de la douleur neuropathique actuelle (douleur neuropathique "certaine" ou "probable")

Quel 3ème descripteur ?

Les termes proposés par les auteurs pouvant décrire une douleur caractérisée par des indices cliniques et psychophysiques suggérant une nociception altérée en l’absence de preuves évidentes de l’activation des nocicepteurs par un dommage réel ou potentiel ou, l’absence de maladie ou de lésion du système somatosensoriel causant la douleur ("Pain that arises from altered nociception despite no clear evidence of actual or threatened tissue damage causing the activation of peripheral nociceptors or evidence for disease or lesion of the somatosensory system causing the pain") sont :
– Nociplastique
– Algopathique
– Nocipathique

NB 1 : ces termes devront être réservés à un usage clinique et non à évoquer un diagnostic ou être utilisés en tant que synonyme de sensibilisation centrale.
NB 2 : la catégorie "idiopathique" pourra correspondre à l’exclusion des catégories citées précédemment ("Pain that cannot be classified as neuropathic, nociceptive or nociplastic/algopathic/nocipathic").

Références

(1) Part III: Pain Terms, A Current List with Definitions and Notes on Usage" (pp 209-214) Classification of Chronic Pain, Second Edition, IASP Task Force on Taxonomy, edited by H. Merskey and N. Bogduk, IASP Press, Seattle, ©1994.

(2) Jensen TS, Baron R, Haanpaa M, Kalso E, Loeser JD, Rice AS, Treede RD. A new definition of neuropathic pain. PAIN 2011;152:2204–5.

(3) Kosek E, Cohen M, Baron R, Gebhart GF, Mico JA, Rice AS, Rief W, Sluka AK. Do we need a third mechanistic descriptor for chronic pain states? Pain. 2016 Jul;157(7):1382-6.
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