Alors, le voilà, votre nouveau patient « fibro » de 10h30 (cette bête curieuse stigmatisée par la médecine… et pas que) vient d’arriver en salle d’attente. Après l’avoir salué, il entre et vous commencez l’interro surprise. Immédiatement, il démarre comme la Kangoo du voisin, c’est-à-dire mal : « Je suis en vrac, c’est L4/L5, mon bassin est déplacé, ma troisième IRM a montré que la seconde n’était pas nécessaire, je me demande ce que vous pourrez faire pour moi et à ma place : j’ai vu le rhumato, il pense que c’est psy et le psy… ben, il a pris lui-même un nouveau rendez-vous chez le rhumato… le centre antidouleur ? Ils sont nuls puisque j’ai toujours aussi mal », etc, etc. Pas facile. Heureusement que vous êtes tombé sur cet article : vous aurez toujours un petit quelque chose à tenter pour lui venir en aide.

S’inspirant fortement de l’approche d’Explain Pain et avec l’aide de 15 patients fibromyalgiques, Hyland et ses collaborateurs ont mis au point un modèle narratif dérivant du modèle de théories complexes (prenant notamment en compte les processus émergeants déjà abordés dans notre série « expliquer la douleur ») pour éviter de retomber dans la dichotomie « tout dans la tête (modèle psychogénique), rien dans les jambes (modèle biogénique) ».

Concrètement :

– L’analogie générale consiste à comparer le corps avec un ordinateur à la fois très intelligent et complexe (« a very clever, super-complex computer »)

– Comme avec un ordinateur, le corps peut subir deux types de problèmes : un problème de hardware (le matériel/la structure qui compose l’ordinateur/votre corps) ou un problème de software (les logiciels qui permettent le bon fonctionnement de l’ordinateur/du corps). La fibromyalgie est un problème de software qu’il va falloir changer ou plutôt reprogrammer. En effet, dans certaines situations, le corps crée des « signaux STOP » (encourageant notamment un arrêt de l’activité) qui permettent d’éviter les lésions et de promouvoir la guérison. Ces signaux incluent par exemple douleur, fatigue, nausées ou encore sensations vertigineuses. Si la personne n’est pas en mesure de répondre à ces signaux (pour diverses raisons, elle ne stoppe pas ce qu’elle fait lorsque ces signaux apparaissent), ceux-ci vont augmenter et perdurer (c’est la sensibilisation). Ainsi, le corps se sensibilise à tout ce qui peut créer un signal STOP. Finalement, on peut dire que le corps utilise de nombreuses stratégies (et donc de symptômes) pour encourager l’individu à stopper ses activités.

– En termes de traitement, il convient d’expliquer qu’il est possible de reprogrammer ce logiciel, en changeant son mode de vie avec comme idée centrale le fait de privilégier des activités ne créant pas ou tout du moins peu de messages STOP. Le travail de reprogrammation s’accompagne de stratégies thérapeutiques diverses (relaxation, exposition graduelle et exercices physiques progressifs, restructuration cognitive, conseils nutritionnel, etc.)

En piste !

 

Références

* Hyland ME, Hinton C, Hill C, Whalley B, Jones RC, Davies AF. Explaining unexplained pain to fibromyalgia patients: finding a narrative that is acceptable to patients and provides a rationale for evidence based interventions. Br J Pain. 2016 Aug;10(3):156-61.
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