La connaissance du corps humain est une compétence essentielle des Masseurs-Kinésithérapeutes (Mk). Le docteur Naïditch vous explique pourquoi l’étude de l’anatomie est en danger pour les kinésithérapeutes.
Nicolas Naïditch est un sociologue expérimenté dans les questions de santé. Il a été responsable à plusieurs reprises de postes de recherche dans des associations en lien avec le soin et l’accompagnement des patients.
Retrouvez également son e-learning sur la plateforme #ActuKiné : Inégalités sociales en santé.
Introduction
Une grande partie des soins des kinésithérapeutes repose sur sa connaissance fine, la cinésiologie ainsi que la biomécanique. Si les livres d’anatomie, les applications, voire la réalité virtuelle permettent son apprentissage théorique, la « pratique » de l’anatomie reste importante. Celle-ci peut être réalisée de façon superficielle – dans l’acception de la surface de la peau – sur des patients, mais aussi en profondeur sur des pièces anatomiques, autrement dit des cadavres. Leur dissection permet en effet de révéler les structures anatomiques ainsi que les liens existant pour la mise en mouvement/tension représentée par les fascias. C’est pourquoi l’accès des étudiants en Masso Kinésithérapie aux laboratoires d’anatomie est aujourd’hui encore essentiel à leur formation professionnelle. Pourtant, si rien ne change, les étudiants MK n’y auront plus accès demain.
Qu’est-ce que le don du corps à la science ?
Mais avant de vous expliquer pourquoi, faisons un petit point sur le Don Du Corps à la Science (DDC) qui est une pratique aussi essentielle que méconnue. À quoi sert le DDC ?
Le DDC sert à la formation initiale (la formation des étudiants), la formation continue (celle des chirurgiens) ainsi que la recherche (par exemple biomécanique). Chaque année, en France, c’est environ 2000 personnes qui donnent leur corps.
Quelles sont les modalités du DDC ?
- Le don du corps repose sur le consentement éclairé, c’est-à-dire que pour donner son corps, il est nécessaire de se rapprocher d’un centre d’anatomie et de remplir une déclaration manuscrite.
- Le don du corps, ou plutôt les frais associés à son traitement (transport funéraire, conservation, traitement) ont longtemps été à la charge des donneurs.
- Une fois décédé, le corps est directement « rapatrié » au centre d’anatomie d’inscription. Autrement dit, les proches ne peuvent pas se recueillir.
- Le corps est rarement utilisé en une fois. Afin de « maximiser » leur utilisation, ceux-ci sont généralement segmentés. Les pièces anatomiques sont conservées et utilisées séparément. En conséquence, le corps ne peut pas être « traité » dans son entièreté.
- Une fois la pièce anatomique utilisée, celle-ci est transportée avec d’autres pièces anatomiques afin d’être crématisée. En conséquence, un corps n’est jamais traité en une fois.
- Certains centres d’anatomie organisent des cérémonies commémoratives collectives en hommage aux donneurs.
Vous l’aurez compris, Le DDC ne doit surtout pas être confondu avec le don d’organes. Contrairement à ce dernier, le DDC repose sur le consentement éclairé et non sur le consentement présumé, le corps est utilisé dans son entièreté n’est pas restitué à la famille.
Pourquoi les MK n’auront plus accès aux laboratoires d’anatomie ?
Vous avez certainement entendu parler du « scandale du charnier de Paris Descartes ». Si ce n’est pas le cas, sachez qu’en 2019 le magazine l’Express révèle les conditions de conservation indigne des corps confiés au centre des dons du corps de Paris Descartes : vente de matériel anatomique, « jeux » morbides, corps en putréfaction, nuisibles… Pour en savoir plus : https://www.association-cdjd.com/
À la suite de ce scandale, l’État Français a lancé un vaste chantier législatif visant à mieux encadrer cette pratique. Malheureusement, les parties prenantes (anatomistes, donneurs et proches et professionnels de santé) n’ont pas été suffisamment intégrées aux discussions. Ainsi, l’article R1261-12 du Décret N°2022-719 du 27 avril 2022 relatif au don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche exclut les professions paramédicales.
« […] Les programmes de formation faisant appel à une utilisation de corps donnés à des fins
d’enseignement médical et de recherche concernent exclusivement la formation des membres des
professions médicales, des personnels qui interviennent dans les blocs opératoires sous la supervision
des premiers, et des personnes qui se destinent à l’exercice de ces professions. […] »
C’est une situation regrettable. Elle constitue non seulement un risque de perte de compétence pour les MK et par extension pour leurs patients, mais plus encore une rupture d’égalités entre les professions médicales et les professions paramédicales. C’est pourquoi il nous semblait essentiel de vous en informer !
Nicolas Naïditch, Sociologue pour l’Association Nationale pour le Don du Corps.
Un grand merci à ActuKiné pour la diffusion de cette information, n’hésitez pas à vous inscrire à l’association : anddc.fr