Voila une phrase ô combien entendue, lue, jetée dans la conversation ou sur les réseaux sociaux, avec parfois un brin de mépris ou de complaisance.
Afin d’éclaircie le débat sur cette noble idée de traiter les causes, voici un petit rappel de la notion de causalité.

La question de la causalité a toujours été la question cruciale de la médecine, qui a cherché, dans des méandres intellectuels parfois audacieux, une explication à la maladie. On y a vu la main de dieu, les sortilèges, les quatre humeurs d’Hyppocrates… avant de découvrir les bêtes microscopiques qui font de nous leur dîner, l’adn et ses nombreux bug, la biochimie des aliments, etc.
la découverte des microbes amène en 1890 la formulation des principes de Henle et Koch, une cause est réelle :
– Si elle est présente chez toutes les personnes malades
– Si elle est absente chez toutes les personnes saines
– Si l’inoculation à un animal provoque des symptômes semblables.
MalheureusementLes porteurs sains et les causes concomitantes mettent à mal ce modèle classique.
Toujours au 19ème siècle, avant même la formulation de ces principes Le docteur Semmelweis de Vienne, inaugure une méthode de recherche de causalité en compilant des dizaines de milliers de données entre 1833 et 1858. Il met alors en évidence la transmission de la fièvre puerpéale par lui-même et ses étudiants, qui à la fois accouchaient les femmes et autopsiaient les cadavres. Ridiculisé et raillé par ses confères, lui reprochant de ne présenter que des arguments statistiques, il jette néanmoins les bases de l’épidémiologie moderne. En 1924, son destin tragique fut le sujet de thèse de médecine d’un certain Louis Destouches alias Louis Ferdinand Céline. Les statistiques épidémiologiques prennent véritablement leur envol au début du 20ème siècle et deviennent petit à petit les bases de jugement de la causalité.
Première étape : la question de la nature causale de la relation entre une élément A et une maladie B ne se pose qu’après avoir porté un jugement de signification statistique.
Dans les années quarante, un soupçon de responsabilité du tabac sur le cancer du poumon éveille la curiosité des scientifiques. S’en suit une bataille méthodologique contres les fabricants qui n’auront de cesse de démonter les méthodes de recherche pour préserver leur commerce. Elle durera 20 ans, le temps de mettre au point une démonstration scientifique de la causalité qui ne soit plus contestable, et de pouvoir affirmer sans erreur que le tabac est la cause d’une forme majoritaire de cancer des poumons. Ces principes de mise en évidence de causalité, puisque c’est la question du jour, sont alors définis par Richard Doll et Austin Bradford Hill. On les appelle les critères de Hill, en voici les grandes lignes :
Le lien statistique, si il existe, n’est pas suffisant pour affirmer la relation de cause à effet. Il est possible qu’un troisième facteur soit caché et responsable de A et B, l’élément A peut être un facteur de risque et non une cause, ou encore que le lien statistique ne soit du qu’à la fluctuation de l’échantillon.
Deuxième étape : une fois le lien établi, il reste à vérifier les critères suivants :
Critères internes :
– La séquence temporelle : l’élément A doit précéder l’élément B
– La force de l’association : soit par le calcul de risque relatif, ou celui des odd ratios, la relation peut être par excès de A ou par manque de A
– La relation du type dose-effet ou gradient biologique
– La spécificité de la cause et de l’effet
– La qualité méthodologique de l’étude (en particulier l’échantillonnage et les outils de mesures)
Critères externes :
– Consistance de l’association dans toutes les populations et par des méthodes différentes
– Plausibilité biologique, mécanique ou physiologique, corroborée aux modèles animales
– Parallélisme dans le temps des valeurs de prévalence ou d’incidence de A et de B
– Cohérence des résultats avec les connaissances générales
C’est seulement à l’aide de tous ces éléments que le jugement de causalité pourra être fixé.

Alors, "je traite les causes" est une noble démarche, encore faut il avoir les moyens de ses ambitions. Devant toute personne qui se revendique de ce principe, présenter les études qui sous-tendent son action est la moindre des exigences. Les données épidémiologiques tirent leur valeur des travaux des mathématiciens à partir du 18 ème siècle, Daniel Bernoulli, Thomas Bayes, Carl Friedrich Gauss, plus tard de Karl Pearson, William Gosset ou Ronald Fisher.
Un raisonnement qui écartent ces méthodes nous renvoient au dela du siècle des lumières, dans un certain moyen âge.

1965 Sir Austin Bradford Hill
You tube : Histoire du conflit entre chercheurs et industriels du tabac, par Allan Brandt
Université de Boston, département de santé, pages internet "Causal Inférence"
La causalité en médecine : modèles théoriques et problèmes pratiques, Paolo Vineis, Sciences sociales et santé Année 1992 Volume 10 Numéro 3 pp. 5-32