Vous avez sans doute déjà entendu parler d’Harriet Hall via Skepdoc ou encore quackwatch ou Skeptical Inquirer ou… bon, ne faites pas exprès non plus !

Harriett, la jeune retraité qu’on rêverait tous d’avoir comme grand-mère, qui vous prépare une délicieuse "cup of tea", de bons gâteaux et surtout qui raconte aux enfants de la famille des contes sur la naturopathie, l’ostéopathie cranio-sacrée, l’homéopathie, etc. avant d’aller dormir… Bref, pas vraiment des histoires pour enfants avec des princes charmants qui guérissent la lombalgie chronique en une séance.

Chez ActuKiné, on l’adore alors on a décidé de parler d’une série de vidéos de la fondation James Randi abordant les "médecines alternatives". Vous retrouverez donc prochainement l’ensemble des 10 vidéos disponibles accompagnées d’un petit récapitulatif des points essentiels en français pour les non anglophones. Bonne lecture !

Comprendre la pensée scientifique

Comprendre ce qu’est la "bonne" science nécessite en premier lieu de comprendre ce qu’elle n’est pas : par exemple, on étudie souvent les dysfonctionnements du cerveau dans la pathologie pour en déduire comment il fonctionne "normalement". Il sera beaucoup question des "CAM" (Complementary and Alternative Medicine) dans cette série de lectures. Ces CAM peuvent tout autant revendiquer l’existence de preuves scientifiques soutenant leur utilisation que se défendrent du carcan scientifique trop réductionniste pour étudier leur fonctionnement. Il est donc primordial de bien comprendre ce qu’est la pensée scientifique pour développer son esprit critique.

Pour cela, il faut revenir dans le passé pour comprendre le développement de la Science : nos ancêtres ne disposaient que de deux moyens pour apprendre :
L’expérience personnelle (ex : si vous aviez mangé des baies qui vous avaient rendu malade, vous n’en mangiez plus)
L’expérience des autres, c’est-à-dire ce que les autres racontaient (ex : si des individus vous avaient mis en garde contre les baies car ils avaient été malades ou qu’une personne de leur entourage l’avait été, vous n’en mangiez plus)

On pense que l’évolution les a préparé à :
– Porter de l’attention aux histoires narratives
– Repérer des "patterns" : la reconnaissance des patterns est à la fois bénéfique pour donner du sens à son environnement mais aussi néfaste car le risque est de voir des patterns qui n’existent pas (par exemple, les pareidolies)
– Prendre des décisions rapidement : là encore, le bon côté est de permettre de réagir à temps mais le risque est de porter des conclusions hâtives

L’évolution a aussi fait que les individus se sont mis à réagir aux émotions :
– Bon côté : les émotions nous poussent à l’action
– Mauvais côté : les émotions interfèrent avec le jugement

La pensée a évoluée pour favoriser la survie dans un monde sans science rendant peut être difficile le fait de penser de manière scientifique aujourd’hui. Il n’est pas étonnant de préférer les histoires aux études (le « stories to studies ») et les anecdotes aux analyses. Il faut beaucoup de travail sur soi et de discipline pour penser scientifiquement.

La science n’est ni une croyance ni une collection de preuves. C’est un système basé sur l’investigation. A partir d’observations on dresse des hypothèses ; si elles sont vérifiées, on peut faire des prédictions qu’on peut tester pour vérifier la précision de l’hypothèse et ensuite la modifier. Si ces prédictions sont précises et fiables et que les preuves commencent à se multiplier on pourra parler de théorie. La science ne cherche donc pas « la vérité ». Il n’y a qu’une seule Science et elle est la même partout !

Comment savoir si un traitement fonctionne ?

L’erreur commune est de penser que la constatation du résultat est suffisante : par exemple, vous essayez un traitement qui a fonctionné chez le voisin et que lui-même vous a conseillez ; si le traitement apporte des résultats, vous aurez tendance à conclure que le traitement fonctionne… sauf que ce résultat peut s’expliquer de beaucoup d’autres manières. Les saignées ont longtemps trompé les médecins ; elles ont été abandonnées quand on a compris qu’elles tuaient plus de gens qu’elles n’en aidaient. Un autre exemple plus contemporain est la ligature de l’artère mammaire interne pour traiter l’angine de poitrine ; en réalisant une procédure placebo, on a pu constater que les résultats étaient les mêmes.

Comment peut-on penser que des traitements inefficaces fonctionnent :
L’atteinte a pu finir son évolution naturelle : beaucoup d’atteintes se règlent seules car les processus naturels de guérison du corps finissent avec le temps par prendre le dessus ; si un traitement est pris durant cette phase, on risque de juger à tort d’une efficacité du traitement ;
Beaucoup d’atteintes suivent un cycle : les symptômes d’une affection peuvent apparaitre et disparaitre au cours du temps (la douleur baisse quelques temps puis augmente puis baisse à nouveau, etc.) ; là encore suivant le moment où on met en place le traitement, on peut avoir un jugement biaisé sur le traitement : on parle de régression à la moyenne ;
Nous sommes tous susceptibles d’être influencé par la suggestion : si on nous dit que ça va aller mieux (placebo) ou pire (nocebo), les symptômes ont des chances d’aller dans ces directions ; tout ce qui distrait l’attention a également de bonnes chances de nous aide ;
Le traitement inefficace peut bénéficier d’une couverture du traitement efficace : si on prend des plantes pendant sa chimiothérapie et que les choses s’arrangent, il y a un risque d’attribuer une partie ou la totalité des effets bénéfiques aux traitements par les plantes. Parfois c’est un événement de sa vie qui change en même temps et on lui attribue à tort l’effet de la guérison ;
Le diagnostic comme le pronostic peuvent être tout simplement faux : cela arrive souvent chez les individus affirmant qu’ils ont vaincu le cancer sans traitement ; en examinant leurs dossiers, on constate qu’ils n’ont jamais eu de biopsie (donc il n’avait peut-être pas de cancer) ; et la biopsie pourrait être fausse (mélange de données du labo), etc. Le pronostic, lui aussi, peut être faux ("les docteurs m’avaient donné 3 mois mais grâce au traitement pipo, je suis encore là après 3 ans") ;
Une amélioration de l’humeur passagère peut se confondre avec la guérison : parfois penser de façon optimiste aide à se sentir mieux alors que l’atteinte n’a pas changé ;
Les besoins psychologiques affectent les comportements et les perceptions : l’investissement en temps et en argent est un biais connu…
On confond fréquemment corrélation et causalité : on conclut à tort en l’effet du traitement juste parce que l’amélioration suit le traitement (le chant du coq avant que le jour se lève = c’est le chant du coq qui fait lever le soleil ou "j’ai pris un médicament et je me sens mieux. C’est le médicament qui m’a fait me sentir mieux") : c’est le fameux post hoc ergo propter hoc.

Parfois certaines conditions ne peuvent pas être étudiées via un essai contrôlé randomisé. Il est utile d’étudier le problème à l’aide des critères de causalité de Hill :
– Il doit exister une relation temporelle entre traitement et résultat
– La force de cette relation doit être grande
– Il doit exister une relation dose-réponse
– On doit noter une homogénéité des résultats avec d’autres études
– Les mécanismes explicatifs des résultats avancés se doivent d’être plausibles
– D’autres explications doivent être prises en considération (jusqu’à leur élimination)
– Des expérimentations doivent être mises en place (par exemple en débutant sur les animaux)
– Le problème étudié doit entrainer des effets spécifiques
– La littérature scientifique en provenance de différents niveaux de science doit être en accord avec les résultats

EBM ou SBM ?

Quel E pour EBM ?
– E pour Expert Based Medicine ? Perdu ! Si Aristote affirmait que les femmes avaient moins de dents que les hommes, on a mis du temps à aller voir ! L’avis d’un expert n’a jamais constitué le socle de l’EBM !
– E pour Experienced Based Medicine ? Erreur assez fréquente ! L’expérience seule ne fait pas un bon praticien : méfiez-vous des discours qui débutent par « in my experience »
– E pour Evidence Based Medicine ? Évidemment ! Finalement, on pourrait dater la naissance de l’EBM ou au moins son tournant capital à l’apparition du premier essai contrôlé randomisé en 1747. Lind souhaite alors étudier le scorbut : il répartit 12 marins scorbutiques en six groupes de deux et administre à chaque groupe une substance différente (la nutrition des groupes étant par ailleurs identique) : cidre, acide sulfurique, vinaigre, concoction d’herbes et d’épices, eau de mer et oranges avec citrons. Seul le dernier groupe va rapidement guérir du scorbut… grâce à la vitamine C !

La notion d’EBM est pourtant faillible : quand on regarde la célèbre pyramide d’évidence, on voit qu’une catégorie n’est pas représentée : les preuves des sciences fondamentales montrant qu’un traitement est hautement improbable ou impossible. En fait, cette pyramide ne considère pas la plausibilité de la preuve. Ainsi, elle place sur un pied d’égalité un ECR sur l’homéopathie et un ECR sur les antibiotiques alors que les concepts à la base de l’homéopathie sont incompatibles avec les lois des sciences fondamentales comme la chimie, la physique ou la biologie. Au final, il faut préférer les termes SBM pour Science Based Medicine, plus globaux et qui ne présentent pas le problème ci-dessus.

La SBM évalue les affirmations, les pratiques et les produits de santé en utilisant les meilleures preuves scientifiques disponibles et à la lumière des connaissances provenant de toutes les disciplines scientifiques pertinentes.

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