Le sommeil occupe une place centrale dans l’existence et personne ne conteste son influence déterminante sur la santé. Bien dormir est vital. Un déficit chronique de sommeil est associé à un risque plus élevé d’obésité par dérèglement des hormones qui régulent la faim et l’appétit (leptine et ghreline), un risque plus grand de morbidité cardiaque et une augmentation des accidents de la route, des dysfonctionnements cognitifs (modification de la vigilance, diminution de l’attention et de la mémoire de travail).

Sur le plan physiologique un manque chronique de sommeil provoque une réduction de la tolérance au glucose, une augmentation de la pression artérielle, une augmentation des marqueurs biologiques de l’inflammation, une diminution de la réponse immunitaire. L’insuffisance chronique de sommeil accroît donc la morbidité, l’obésité, le risque de diabète et la mortalité mais ceci est à tempérer en fonction de caractéristiques individuelles probablement génétiques qui expliquent la grande variabilité des modes d’ajustement (Banks & Dinges, 2007).

Dans la population et plus particulièrement chez les adultes et les adultes âgés, les problèmes de sommeil sont nombreux. L’inconfort et les répercussions sur la vie sociale, familiale et professionnelle de ces problèmes sont mal ressentis. Une étude réalisée par l’Assurance Maladie (France) montre que 17, 4 % (plus de 10 millions) de la population a bénéficié d’au moins une prescription d’anxiolytiques et 8,8 % (plus de 5 millions) d’hypnotiques (Lecadet et al., 2003).

Les hypnotiques sont, par définition, prescrits pour trouver le sommeil, les anxiolytiques sont, en partie, préconisés pour la même indication car l’anxiété accompagne souvent l’insomnie.
Aujourd’hui, de plus en plus de spécialistes s’accordent pour dire qu’une consommation chronique de tels médicaments est à proscrire. Comme les recommandations générales de bonne pratique le conseillent, il serait plus souhaitable d’en réserver l’usage à des indications et emplois limités.

Les personnes qui abusent d’anxiolytiques et d’hypnotiques risquent d’en devenir dépendantes sans compter les effets secondaires possibles. Finalement, ces substances puissantes ne procurent qu’un sommeil de mauvaise qualité et ne donnent au dormeur que l’illusion qu’il a bien dormi.

Depuis 25 ans, des méthodes sans médicaments ont montré leur efficacité. Elles sont plus accessibles chez nos voisins Anglais et dans les pays du nord de l’Europe pour traiter l’insomnie qui est le trouble du sommeil le plus fréquent (Espie, 1994). On peut regretter qu’elles soient encore peu connues à la fois par les médecins et par le grand public. Dans une perspective de santé publique, ces traitements sans médicaments mériteraient être largement diffusés et utilisés.

Un simple constat montre qu’il y a en France très peu de praticiens formés au traitement sans médicaments de l’insomnie chronique. Selon Beck & Léger (2012) 19,3% des femmes et 11,9% des hommes présentent une insomnie chronique. Il s’agit du trouble du sommeil numéro un.

Pour traiter l’insomnie chronique, le rapport Giordanella (2006) préconise, tout comme la Haute Autorité de Santé, le recours plus systématique à des thérapies alternatives aux traitements médicamenteux d’autant que la consommation de médicaments somnifères est plus importante en France que dans d’autres pays européens ou au Québec (Gouriez- Fréry et al. 2012).
Cette dernière étude constate que la prise de médicaments hypnotiques et anxiolytiques pour traiter l’insomnie a peu changé entre 1993 et 2008 : (… ) «Les résultats suggèrent néanmoins un recours thérapeutique n’ayant que légèrement évolué ces dix dernières années en France, et qui reste à améliorer» .

Proposer au patient un traitement non médicamenteux de l’insomnie chronique constitue déjà, dans certains cas, un véritable défi. En France, le médicament jouit d’un grand prestige et s’appuie sur des éléments culturels et symboliques particuliers à la fois chez les prescripteurs et les consommateurs.

Ainsi la Haute Autorité de Santé écrit (pour le traitement de l’insomnie) (…) «Les thérapeutiques non médicamenteuses recommandées constituent le traitement de fond de la prise en charge des patients, il est préconisé de les prescrire systématiquement.» (HAS, 2011).
Mais c’est le serpent qui se mord la queue : d’une part, pour diverses raisons complexes qu’il n’est pas possible d’exposer ici le traitement non médicamenteux de l’insomnie est encore peu proposé et, d’autre part, l’offre en professionnels qualifiés en ce domaine particulier reste assez faible.

Dans la proposition d’un traitement sans médicaments de l’insomnie chronique le thérapeute se heurte à la dépendance physiologique et psychique aux benzodiazépines et aux benzo-like drugs (zolpidem, zopiclone). Jusqu’à un tiers des personnes âgées de plus de 65 ans en consomment régulièrement et à long terme (Fourier et al. 2001). Le sevrage est indispensable mais l’effet rebond de l’insomnie à l’arrêt brutal de la médication est redoutable. L’accompagnement thérapeutique (voir Rapport Saout, 2008) et l’apprentissage de la relaxation sont aussi requis pendant le temps du sevrage.

Guy Adant, kinésithérapeute spécialisé en santé mentale, formateur, master en sciences de la santé publique
guy@adant.fr

Bibliographie :

Adant, G (1994) Approche de l’insomnie chronique par le kinésithérapeute, Kinésithérapie scientifique, 331 : 50-55.
Adant, G. (1996) Bien dormir, Question-Santé, Bruxelles.
Adant, G. (1998) Sommeil, qualité de vie et kinésithérapie, Kinésithérapie scientifique, 380 : 21-26.
Adant, G. (2013) Soigner l’insomnie chronique des résidents en maison de retraite, Revue Directeurs au service des personnes âgées, août-sept, 4-5.
Adant, G. :https://actukine.com/Pour-la-reconnaissance-et-le-developpement-de-la- kinesitherapie-en-sante-mentale_a2574.html
Banks, S., Dinges D.F. (2007) Behavioral and Physiological Consequences of Sleep Restriction, Journal of Clinical Sleep Medicine, 3 (5) 519-528.
Beck, F., Léger D. (2012) Prévalence et facteurs sociodémographiques associés à l’insomnie et au temps de sommeil en France (15-85 ans). Enquête Baromètre santé 2010 de l’Inpes, France, BEH Bulletin Epidémiologique hebdomadaire, Institut de Veille sanitaire, 44-45, 497-501
Espie, C.A. (1994) Le traitement psychologique de l’insomnie, Bruxelles, Mardaga.
Fourier, A., Letenneur, L., Moore, N., Begaud, B.( 2001) Benzodiazepine use in an elderly community-dwelling population. Characteristics of users and factors associated with subsequent use, European Journal of Clinical Pharmacology, Vol. 57(5)419-425.
Gouriez-Fréry, Chan-Chee C., Léger D. (2012) Insomnie, fatigue et somnolence : prévalence et état de santé associé, déclarés par les plus de 16 ans en France métropolitaine.
Haute Autorité de Santé : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_937775/fr/psycho-sa-plaintes-du-
sommeil-insomnie
Haute Autorité de Santé (2011) Rapport d’orientation, Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées, http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/2011-06/ developpement_de_la_prescription_de_therapeutiques_non_medicamenteuses_rapport.pdf
Lecadet J., Vidal P., Baris B., Vallier N., Fender P., Allemand H. et le groupe Médipath (2003) Revue Médicale de l’Assurance Maladie (France), Vol. 34, 2, 75-84. Haute Autorité de Santé : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_937775/fr/psycho-sa-plaintes-du- sommeil-insomnie

Rapport Giordanella (2006) rapport_sommeil_giordanella.pdf

Rapport Saout (2008) 084000578/0000.pdf