La forme narrative se distingue des textes descriptif, didactique ou argumentaire par sa finalité simple, celle de raconter une histoire. C’est la forme privilégiée du roman, du fait divers, du conte :
« John est assis, se reposant. Je me présente rapidement et aussitôt lui propose les différentes évaluations que je souhaite pratiquer avec lui. Il est attentif, concentré sur mes propos, le regard est interrogateur. A ce moment, sa respiration s’accélère, accompagnée de sifflements… »
Dans les années 1980, le psychologue Jerome Bruner a été l’un des premiers à plaider pour cette approche. Il observe que, contrairement à la pensée analytique, la narration apporte différents points de vue et significations aux interactions sociales intenses que constituent les soins aux patients. Il a soutenu que l’analyse sans récit est dénuée de signification parce que l’essence de la narration est d’encadrer et de relier les interactions humaines dans une ligne d’histoire.
Dans l’enseignement aux étudiants en médecine, Rita Charon est une pionnière dans les compétences narratives d’identification, d’absorption, d’interprétation et de compréhension de la valeur de l’histoire de la maladie. Pour Elle, la réflexion prend racine dans le dialogue narratif entre le patient et les professionnels de santé, et sa signification est con-construite et transportée à travers la langue.
À l’Université Emory aux Etats-Unis, des expériences narratives sont développées et intégrées au long du cursus. Les élèves sont initiés à l’approche narrative de la prise de décision éthique au cours de leur premier semestre, avec l’idée que les questions d’éthique doivent être intégrés dans les expériences de la vie quotidienne et sont représentés dans l’histoire des personnages, les évènements, et l’ordre des événements. les étudiants pratiquent l’analyse de cas, identifient les lacunes narratives, et sont guidés par une série de questions ayant traits aussi bien au patient qu’au thérapeute.
L’interaction de l’écrivain avec un groupe donne un sens supplémentaire à la compréhension. Une attitude de véritable curiosité sur l’expérience, vouloir comprendre plutôt que d’essayer de juger de l’exactitude ou l’inexactitude des mesures ou des décisions de l’auteur, contribue à créer cette réflexion profonde.
Au dela de l’approche pédagogique, cet article repose le problème de la disparition des matières littéraires dans le cursus de formation et de sélection des futurs professionnels de santé. Les auteurs s’accordent pourtant sur le fait que l’excellence appartient à ceux qui manient aussi bien les statistiques que la sémantique. Ce type de travail nous a tous suivi du collège jusqu’au bac de français pour disparaitre totalement des compétences dans la majorité des différentes filières de santé au profit des matières scientifiques. L’expérience narrative est pourtant particulièrement utile pour explorer le processus de réflexion qui soutient une décision clinique, aussi bien sur le plan éthique, épistémologique que procédural.
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http://ptjournal.apta.org/content/95/6/924.abstract