Voilà plus de 20 ans que l’EBM (Evidence Based Medicine) s’est imposée comme le paradigme de référence dans l’enseignement et la pratique de la médecine clinique. Malgré de nombreux succès, son implantation est encore limitée : les auteurs citent l’exemple du nombre encore important (3-48/100000 en Angleterre) d’arthroscopies/lavement du genou sans efficacité prouvée.

Petit résumé d’un article qu’ActuKiné vous conseille de lire dans son intégralité (en fait rien de vraiment nouveau mais ce papier constitue un bon résumé critique) :

L’article identifie les problématiques suivantes :

1/ Des problèmes d’ordre qualitatif avec le label « EBM » : il semble exister une volonté de manipuler certains paramètres des essais cliniques pour mettre en avant l’efficacité de certains traitements (souvent médicamenteux) : par exemple on note : le peu de publications de résultats négatifs, une prédominance de différences statistiquement significatives au détriment de différences cliniquement significatives, des critères d’inclusion et un recours à des dosages de traitement soigneusement choisis pour maximiser les effets, pire encore, de plus en plus de travaux présentent des biais difficiles à repérer avec des outils spécifiques (check-lists/évaluation des risques de biais).

2/ Un volume de données (y compris les fameuses recommandations cliniques) difficile à gérer pour le clinicien.

3/ Une recherche de bénéfices pour la pratique courante beaucoup trop marginale : beaucoup études sur-estiment l’effet des traitements et sous-estiment les effets secondaires possibles.

4/ Une tendance prononcée à se focaliser sur des règles et des algorithmes qui risque de produire des traitements impersonnels plutôt que centrés sur le patient.

5/ Une grande partie des travaux s’applique plutôt à des populations porteuses d’une seule pathologie et semble intransposable à la réalité clinique où les patients présentent de nombreuses comorbidités.

L’article prône le retour à une vraie médecine basée sur les preuves :

1/ Privilégier une médecine individualisée où les données de la science doivent être exprimée de manière à ce que tout le monde puisse les comprendre (NNT, NNH, etc.). Les décisions cliniques doivent être réellement partagées et pas décidées unilatéralement par le praticien. A partir des données scientifiques, il faut instaurer un dialogue visant à présenter les meilleures options de traitement au patient, la raison de ces choix et la manière de les mettre en œuvre.

2/ Préférer les jugements (les plus objectifs possibles) aux règles

3/ Placer la relation soignant-soigné à la base du soin : on retrouve (encore!) l’importance de l’empathie. Pour le praticien, l’idée n’est pas uniquement de proposer des choix de traitement, il doit aussi les implémenter sur un plan émotionnel et pratique. L’article mentionne en guise d’exemple des situations de soins palliatifs où les recommandations basées sur les preuves peuvent devenir absurdes, non pertinentes, voir-même dangereuses.

4/ Prendre en compte la dimension de santé publique : le succès des interventions dépend de la faisabilité locale, de son acceptation et de la bonne adaptation au contexte, donc des décisions partagées avec les communautés locales impliquées.

L’article propose des solutions pour y parvenir :

1/ S’appuyer sur les patients et les groupes de patients : ils faut qu’ils exigent plus de preuves, plus d’informations, plus d’explications, le tout appliqué de manière plus personnelle en tenant compte du contexte et en fixant des objectifs individualisés.

2/ Certaines compétences sont cruciales pour les praticiens : notions basiques en calcul/statistique, capacités de recherche dans les bases de données électroniques, habiletés à poser des questions de recherche d’étude, etc. Il faut surtout pouvoir appliquer ces compétences à des situations concrètes. Enfin, il faut prévoir des mises à jour régulières des connaissances en post-cursus.

3/ Les preuves doivent être à la fois solides et utilisables : il faut les mettre au niveau des cliniciens : brièveté, rédaction dans un langage à la portée des non experts, recours à des visuels/infographie efficaces, aides décisionnelles, etc.

4/ Les éditeurs de revues doivent être plus rigoureux et obliger les auteurs à orienter leurs travaux vers l’application des preuves à la pratique courante et à présenter leurs résultats de façon à encourager des discussions individualisées.

5/ La recherche doit surpasser les conflits d’intérêts

6/ La recherche doit être élargie et plus imaginative : il semble important de réaliser plus de travaux qualitatifs, d’améliorer notre compréhension de la manière dont clinicien et patient trouvent, interprètent, et évaluent les preuves de la recherche et comment et si, ces processus nourrissent une communication clinique, une exploration d’options diagnostiques et une prise de décision partagée.

Références

Greenhalgh T, Howick J, Maskrey N; Evidence Based Medicine Renaissance Group. Evidence based medicine: a movement in crisis? BMJ. 2014 Jun 13;348:g3725.
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