Le genre influence nos soins Louisa Rondeau

Le genre en santé – Comment la perception du genre influence le soin ?

Vous connaissez les effets de l’âge du patient sur les soins. Mais vous n’avez peut-être pas conscience des effets du genre en santé ! En tant que kinésithérapeutes nous proposons des soins spécifiques. Ils sont idéalement centrés autour du patient et dirigés vers des objectifs fonctionnels. Louisa Rondeau s’interroge : comment la perception du genre du patient influence notre soin ? 

Louisa Rondeau est étudiante en dernière année de kinésithérapie. Durant ses années d’études, elle s’est investie dans la lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) et l’égalité des genres. Elle a le souhait de continuer à approfondir ces thématiques que ce soit dans sa future pratique clinique ou auprès des étudiants.

 

Questionnement autour du genre en santé

Encourage-t-on de la même manière les patients hommes et femmes ? Abordons nous la douleur de la même manière avec les hommes et les femmes ? Pour les mêmes capacités, donne-t-on le même poids aux hommes et aux femmes ? Ces questionnements poussent les masseurs-kinésithérapeutes à s’interroger sur la question du genre dans la pratique clinique.

 

Qu’est ce que le genre exactement et comment influence t’il le soin ?

Le genre fait référence aux normes, comportements et rôles socialement construits des filles, des femmes, des garçons, des hommes et des personnes de diverses identités de genre [1]. Le genre compte et fait une différence dans la pratique clinique, l’éducation et la recherche en kinésithérapie [2] , ainsi que dans un contexte plus large de santé publique. Par exemple, le sexe et le genre peuvent avoir un impact sur la présentation de la maladie, le pronostic et la réponse au traitement [3]. 

En outre, des préjugés inconscients ou des stéréotypes de genre peuvent influencer les décisions des kinésithérapeutes en matière d’exercices, même involontairement. Il est donc important que les professionnels de la santé soient conscients de ces biais potentiels afin de fournir des soins équitables et de qualité à tous les patients [4]. 

 

Les messages des professionnels de santé sont stéréotypés

Stenberg, et al [5] démontrent qu’il existait des différences stéréotypées selon le genre dans les messages des professionnels de la santé aux patients souffrant de cervicalgie et de lombalgie. Par exemple, les professionnels de santé ont plus tendance à dire aux hommes que leur douleur peut être liée au « travail pénible ». Alors que les femmes recevaient le message « soyez prudentes » dans leurs activités. Il est à noter que, dans cette même population, de nombreuses femmes étudiées ont également un travail « physiquement pénible ».

 

Le traitement change en fonction du genre dans des contextes bio-médicaux-sociaux similaires

Les hommes reçoivent moins de suggestions sur l’exercice en tant que traitement, car ils étaient perçus comme plus forts. Les différences observées entre la santé des hommes et celle des femmes sont le plus souvent rapportées à une différence de comportement. Cette différence est confortée par le constat que les hommes tendent à se mettre davantage en danger. Alors que les femmes consultent davantage les professionnels de santé et sont plus observantes une fois insérées dans le système de soin [6].

 

Le genre en santé, une approche complexe

Cependant, l’approche via les différents comportements entre les hommes et les femmes ne permet pas de se rendre compte des exceptions qui existent. Elle tend à considérer le groupe social des hommes et celui des femmes comme des réalités homogènes, sans nuance.

De plus, cette approche ne prend pas en compte la dimension relationnelle du genre. C’est à dire le fait que les pratiques de chaque sexe sont déterminées par les inégalités entre les femmes et les hommes [6].

 

Nos traitements encore trop « bio » échouent dans certains cas : exemple du LCA

Par exemple, la disparité des taux de blessures entre les femmes et les hommes s’est fortement concentrée sur les traits biologiques basés sur le « sexe ». Comme l’anatomie, la physiologie et les hormones, en ne prenant pas en compte les influences sociales sexospécifiques plus larges [7]. Si on prend l’exemple des lésions du ligament croisé antérieur (LCA). Il faut noter que les taux annuels dans la population générale restent inchangés chez les filles et les femmes, alors qu’ils diminue chez les garçons et les hommes [8]. Cela suggère que les explications strictement biologiques pourraient être insuffisantes pour améliorer les résultats chez les filles et les femmes. 

 

Comment l’inégalité sociale entre les hommes et les femmes influence directement nos résultats en soins : exemple du LCA

Les facteurs de risques d’une lésion du LCA sont traditionnellement compartimentés en intrinsèques et extrinsèques. Si on réduit le risque de blessure chez les femmes à des causes biologiques, donc intrinsèques (par exemple, hormones, anatomie, physiologie). Alors on ne prend pas en compte la cause première de la lésion du LCA : l’accès à tous les sports et à la formation [7]. Celle-ci est susceptible d’être fortement influencé par les disparités environnementales liées au genre.

Auparavant les facteurs de risque de blessure étaient considérés comme étant uniquement intrinsèques à l’athlète. Comme par exemple : la force musculaire, la composition corporelle, le niveau de compétence. Nous pourrions considérer dorénavant, en théorie, qu’ils ont un certain degré d’influence extrinsèque !

 

La recherche clinique doit aussi mieux comprendre le genre

Certains auteurs reconnaissent que les blessures sportives ne correspondent pas à un modèle traditionnel de cause à effet. Meeuwisse et al [9] ont présenté un modèle cyclique multifactoriel. Ce modèle décrit comment les facteurs de risque doivent être pris en compte dans la manière dont ils interagissent de différentes manières pour différents athlètes dans différents contextes pour provoquer une blessure. Bekker et Clark [10] soutiennent que parce que « les blessures sont influencées par les interactions entre les personnes, l’environnement physique et l’environnement social ». Donc, la recherche sur la prévention des blessures sportives doit adopter une approche plus complexe.

Plutôt que de positionner le sexe ou le genre comme des facteurs de risque intrinsèque, ils peuvent être considérés comme également extrinsèques. Et si nous allions au-delà d’un point de départ biologique ? Intégrer à la fois la biologie et la société en tant qu’influences possibles sur le risque de blessure du LCA pourrait conduire à de nouvelles avancées dans le domaine. Pensons notamment au programmes de prévention [7].

 

Des axes concrets pour un système de santé mieux adapté au genre du patient

Les travaux en santé publique nous donnent des pistes ! Notons que les efforts de prévention sont plus efficaces lorsqu’ils ciblent des normes sociales et culturelles plus larges. Et moins efficaces lorsqu’ils imposent aux individus le fardeau de changer leur comportement…

Il est donc important de considérer les différences de genre dans la perception et la gestion de la prise en charge des patients afin que ces préventions soient efficaces et équitables. Voici différentes pistes retrouvées dans les articles afin d’améliorer l’abord de la question du genre en kinésithérapie [2–4,6]: 

  • Éducation des professionnels de la santé. En effet les kinésithérapeutes doivent être conscients des différences de genre et être formés pour les prendre en compte dans leur pratique clinique.
  • Prise en charge de la douleur. Les kinésithérapeutes doivent utiliser des outils d’évaluation de la douleur qui tiennent compte des différences de genre. Par exemple en prenant en compte les stratégies d’adaptation à la douleur que les patients utilisent. Aussi en prenant en compte les différences de genre et les facteurs sociaux et culturels qui peuvent influencer la perception et la gestion de la douleur.
  • Recherche. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les différences de genre dans la perception et la gestion de la douleur. Cela afin de développer des stratégies de prise en charge plus efficaces et plus adaptées aux besoins des hommes et des femmes.

Les normes culturelles sur la masculinité et la féminité changent avec le temps et prennent des formes multiples dans différentes sociétés. Développer une sensibilité afin de découvrir les besoins réels des patients en dépassant les stéréotypes de genre est un défi pour les kinésithérapeutes d’aujourd’hui [3].

 

Bibliographie

[1] Torgrimson BN, Minson CT. Sex and gender: what is the difference? Journal of Applied Physiology 2005;99:785–7. https://doi.org/10.1152/japplphysiol.00376.2005.

[2] Öhman A. Profession on the move : Changing conditions and gendered development in physiotherapy 2001.

[3] Chalmers KJ, Elkins MR. Sex and gender in physiotherapy research. Journal of Physiotherapy 2021;67:238–9. https://doi.org/10.1016/j.jphys.2021.08.015.

[4] Stenberg G, Fjellman-Wiklund A, Strömbäck M, Eskilsson T, From C, Enberg B, et al. Gender matters in physiotherapy. Physiotherapy Theory and Practice 2022;38:2316–29. https://doi.org/10.1080/09593985.2021.1970867.

[5] Stenberg G, Fjellman-Wiklund A, Ahlgren C. ’I am afraid to make the damage worse’–fear of engaging in physical activity among patients with neck or back pain–a gender perspective. Scand J Caring Sci 2014;28:146–54. https://doi.org/10.1111/scs.12043.

[6] Carricaburu D. Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang (dir.), Les inégalités sociales de santé, La Découverte, Paris, 2000, 448 p. Sociologie du Travail 2001;43:569–71. https://doi.org/10.1016/S0038-0296(01)01191-8.

[7] Parsons JL, Coen SE, Bekker S. Anterior cruciate ligament injury: towards a gendered environmental approach. Br J Sports Med 2021;55:984–90. https://doi.org/10.1136/bjsports-2020-103173.

[8] Sanders TL, Maradit Kremers H, Bryan AJ, Larson DR, Dahm DL, Levy BA, et al. Incidence of Anterior Cruciate Ligament Tears and Reconstruction: A 21-Year Population-Based Study. Am J Sports Med 2016;44:1502–7. https://doi.org/10.1177/0363546516629944.

[9] Meeuwisse WH, Tyreman H, Hagel B, Emery C. A dynamic model of etiology in sport injury: the recursive nature of risk and causation. Clin J Sport Med 2007;17:215–9. https://doi.org/10.1097/JSM.0b013e3180592a48.

[10] Bekker S, Clark AM. Bringing complexity to sports injury prevention research: from simplification to explanation. Br J Sports Med 2016;50:1489–90. https://doi.org/10.1136/bjsports-2016-096457.

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