Pour Thacker, de plus en plus de physiothérapeutes commencent à s’intéresser de près à la douleur. Pour eux, il semble acquis que la nociception n’est pas la douleur et donc, qu’il n’existe pas de voies de la douleur, de récepteurs à la douleur ou encore de contrôles descendants de la douleur. L’avancée des neurosciences de ces dernières décennies a mis fin au dualisme corps-esprit décrit par Descartes (le « body mind problem » évoqué dans notre série sur l’histoire de la douleur).

Si bon nombre de thérapeutes sont donc passés au modèle suivant, en adhérant à l’idée d’une origine de la douleur non périphérique (« La nociception n’est ni nécessaire, ni suffisante pour ressentir la douleur »), il est en revanche courant d’entendre dire que la douleur « EST DANS » le cerveau (traduit littéralement de l’anglais : « pain IS IN the brain »). Une question pertinente posée par Mick est de savoir si, bien que le cerveau soit nécessaire à l’expérience douloureuse, il est suffisant pour parler de douleur.

En effet, si l’on promeut cette idée en éducation thérapeutique, il devient difficile de ne pas se confronter à des interrogations légitimes du patient comme :
– « Êtes-vous en train de dire que je suis dingue ? »
– « Vous dites que c’est dans ma tête ? »
– « C’est psychologique ? »
– Etc.

Tout ceci peut sous-entendre que « Vous êtes votre cerveau » ou encore que « Votre cerveau est vous ». En réalité, « Vous êtes-vous » AVEC un cerveau dont vous vous servez… Mais, votre cerveau n’est sans doute pas suffisant pour vous définir. Beaucoup d’experts se sentent coupables lorsqu’ils utilisent des phrases comme « Votre cerveau décide », « Votre cerveau pense », etc. car elles suggèrent que votre cerveau est séparé de vous et qu’il est donc (relativement) autonome… Vous commencez à comprendre où Mick Thacker veut en venir : cette attitude tend à structurer à nouveau la douleur (à uniquement la « neurologiser » pour Quintner) : nous revoilà parti dans une dichotomie Cartésienne pendant les 300 prochaines années !?!

L’implication clinique est importante : si mon cerveau « décide pour moi », que me reste-il? Comment reprendre un contrôle sur la douleur puisqu’ « IL » décide? Le cerveau « douloureux » (the « painful brain »)? Le cerveau « dictateur »? « Persécuteur »? Il pense, je subis ; il agît, j’attends. Fatalisme, sentiment d’impuissance, anxiété, dépression, catastrophisme, etc. les enjeux sont de taille !

La seule entité suffisante dans l’expérience et la perception douloureuse est … la personne toute entière. Cette « unité patient » mérite de recevoir toute notre attention lors de notre prise en charge. À méditer en cette rentrée…

Références