Introduction

La prévalence des chutes chez les patients est variable. Par exemple, chez des patients avec un EDSS entre 3,5 et 6 : 63 % vont chuter [1]. Dans une population de patients SEP, quel que soit l’EDSS, la prévalence d’avoir une chute au cours des 3 derniers mois est de 34 % [2]. Dernier exemple, 56 % de patients ayant un EDSS médian à 4 (entre 2 et 6,5) ont chuté au cours des 12 derniers mois [3].

Les facteurs de risques sont nombreux. Un EDSS élevé, des troubles de la proprioception, la spasticité, l’utilisation d’une aide de marche ont été identifiés [1]. Il ne faut pas oublier la fatigue, qui est un symptôme clinique fréquent dans la SEP. En effet, toute augmentation de 10 points sur l’échelle MFIS (Modified Fatigue Impact Scale) entraine une multiplication par 10 du risque de chute chez le patient SEP utilisant soit 2 aides de marche, soit un fauteuil roulant pour les longues distances [4]. Une revue systématique avec méta-analyse a identifié 18 facteurs de risques chez le patient SEP [5], mais nous reviendrons sur ces facteurs dans un prochain article.

Concernant l’utilisation d’aides de marche, suite à une analyse secondaire des données (donc méfiance), Coote et al. précisent qu’il semble y avoir un risque de chutes et de chutes multiples plus important chez les patients utilisant une aide unilatérale de marche en intérieur ou en extérieur, mais aussi chez les patients utilisant une aide bilatérale de marche (déambulateur, cannes, béquilles) en extérieur [2]. Plus intéressant, le nombre de chutes multiples est le plus élevé chez les patients ayant une atteinte de la marche mais n’utilisant pas d’aide de marche (70 %).

Objectifs de l’étude :
1) Comparer les effets sur les troubles de l’équilibre d’une rééducation multisensorielle de l’équilibre par rapport à une prise en charge classique
2) Comparer les effets sur la perception de l’équilibre dans différentes activités de la vie quotidienne, sur la fatigue, la qualité de vie, la fréquence des chutes et les processus d’intégration sensorielle

Méthode

Essai contrôlé randomisé, avec évaluateur en aveugle.

Population : patients SEP < 65ans avec forme rémittente, EDSS entre 1,5 et 6, MMSE ≥ 24, symptômes subjectifs de troubles de l’équilibre, peur de chuter ou historique de chute (1 chute lors de la dernière année), rétropulsion test nécessitant 3 pas ou plus pour éviter la chute.

Puissance : 20 patients par groupe pour une puissance de 90 % et détecter une amélioration de 3 points sur l’échelle de Berg considérée comme cliniquement significative par les auteurs

Critère de jugement principal : équilibre évalué par l’échelle de Berg
Critères de jugements secondaires :
– Perception de l’équilibre par l’Activities-specific Balance Confidence Scale (ABC)
– Evaluation des interactions sensorielles par le Clinical Test of Sensory Interaction and Balance (CTSIB). On demande au patient de tenir debout pieds joints le plus longtemps possible sur 2 surfaces différentes (sol, mousse) lors de 3 conditions visuelles différentes (yeux ouverts, yeux fermés, dôme)
– Qualité de vie évaluée par le Multiple Sclerosis Quality of Life-54 (MSQOL-54)
– Fatigue évaluée par la Fatigue Severity Scale
– Nombre de chutes
L’évaluation a été réalisée au début du protocole, à la fin et 1 mois après la fin de celui-ci.

Groupe expérimental : 3x / semaine, 50 min / jour. Exercices progressifs comprenant 3 niveaux de difficulté avec à chaque niveau 3 conditions sensorielles différentes (yeux ouverts, yeux fermés, dôme).
Niveau 1 : déstabilisations externes par le physiothérapeute faisant appel à des ajustements posturaux réactionnels
Niveau 2 : Travail des ajustements posturaux anticipatoires par des mouvements actifs des membres supérieurs et/ou des membres inférieurs
Niveau 3 : exercices des niveaux 1 et 2, mais sur des mousses/tapis de différentes épaisseurs
Groupe contrôle : idem, comprenant des mobilisations activo-passives, du renforcement musculaire, des étirements.

Résultats

80 patients recrutés initialement, 12 patients sont sortis de l’étude (raisons médicales, transport pour aller sur le lieu de l’étude)

Amélioration statistiquement significative de l’équilibre évaluée par l’échelle de Berg, avec une différence inter-groupe de 4.99 points (IC 2.83, 7.15) à la fin du protocole et de 4.60 (IC 2.50, 6.69) à 1 mois.

Diminution inter-groupe statistiquement significative du nombre de chutes à la fin du protocole

Conclusion des auteurs

"Specific training to improve central integration of afferent sensory inputs may ameliorate balance disorders in patients with MS"

Score PEDro

Commentaires Actukiné

Les résultats sont-ils valides ?

C’est un essai contrôle randomisé de bonne qualité utilisant une analyse en intention de traiter et un remplacement des données manquantes en prenant en compte la dernière observation pour l’analyse statistique. Il y a cependant 15 % de perdus de vue, ce qui semble beaucoup, mais les causes sont précisées de manière succincte. Aucun effet secondaire n’a été rapporté. Il faut signaler la correction du seuil de significativité du petit p en raison de comparaisons multiples (p < 0,025), mais qui n’est pas suffisante en raison de la présence de 6 critères de jugement. Le seuil de significativité serait alors de 0,008, ce qui par chance ne change pas l’interprétation des résultats rapportés.

L’analyse par le Risk of Bias de la Cochrane va dans le sens de l’évaluation par l’échelle PEDro (cf. image ci-contre).

Quels sont les résultats ?

L’amélioration sur le critère de jugement principal est de quasiment 5 points sur l’échelle de Berg. Vu la population incluse avec un EDSS assez bas entre 3 et 3,7 de moyenne, il s’agit d’une amélioration intéressante mais dont on ne peut pas dire si elle est cliniquement significative, les valeurs n’existant pas à l’heure actuelle pour les patients SEP.

Puis-je appliquer cela à mes patients ?

Ces résultats touchent une population très précise de patients SEP signalant des troubles de l’équilibre ou 1 chute au cours de la dernière année. Il semble donc important d’évaluer et de prendre en charge les troubles de l’équilibre des patients avec un EDSS relativement faible.

Attention, ces résultats ne sont pas applicables chez des patients avec un EDSS plus élevé (entre 5 et 6,5) ou présentant des chutes répétés (pour rappel la HAS les définie chez la personne âgée par "au moins 2 chutes, involontaires, en se retrouvant sur le sol, au cours des 12 derniers mois"). Cela serait à investiguer.

La place des troubles cognitifs dans les troubles de l’équilibre et les chutes chez le patient SEP est documentée [6,7]. Chez les chuteurs à répétition, les troubles de la mémoire de travail et de l’attention sont plus importants que chez le patient qui n’a chuté qu’une seule fois [6]. Il y a une corrélation entre la fréquence des chutes et la présence de troubles de la mémoire (travail, épisodique), de l’attention [7]. Il faudra déterminer dans le futur l’impact d’un tel programme chez des patients SEP présentant des troubles cognitifs.

A retenir

Une rééducation multisensorielle de l’équilibre chez des patients SEP avec un EDSS moyen entre 3 et 3,7 permet d’améliorer l’équilibre et de diminuer le risque de chutes

Référence de l’étude

Références

[1] Nilsagård Y, Lundholm C, Denison E, Gunnarsson LG. Predicting accidental falls in people with multiple sclerosis — a longitudinal study. Clin Rehabil. 2009 Mar;23(3):259-69.
[2] Coote S, Finlayson M, Sosnoff JJ. Level of mobility limitations and falls status in persons with multiple sclerosis. Arch Phys Med Rehabil. 2014 May;95(5):862-6.
[3] Sosnoff JJ, Socie MJ, Boes MK, Sandroff BM, Pula JH, Suh Y, Weikert M, Balantrapu S, Morrison S, Motl RW. Mobility, balance and falls in persons with multiple sclerosis. PLoS One. 2011;6(11):e28021.
[4] Coote S, Hogan N, Franklin S. Falls in people with multiple sclerosis who use a walking aid: prevalence, factors, and effect of strength and balance interventions. Arch Phys Med Rehabil. 2013 Apr;94(4):616-21.
[5] Gunn HJ, Newell P, Haas B, Marsden JF, Freeman JA. Identification of risk factors for falls in multiple sclerosis: a systematic review and meta-analysis. Phys Ther. 2013 Apr;93(4):504-13.
[6] Sosnoff JJ, Balantrapu S, Pilutti LA, Sandroff BM, Morrison S, Motl RW. Cognitive processing speed is related to fall frequency in older adults with multiple sclerosis. Arch Phys Med Rehabil. 2013 Aug;94(8):1567-72.
[7] D’Orio VL, Foley FW, Armentano F, Picone MA, Kim S, Holtzer R. Cognitive and motor functioning in patients with multiple sclerosis: neuropsychological predictors of walking speed and falls. J Neurol Sci. 2012 May 15;316(1-2):42-6.