Episode 7/8 : théories de la douleur

Cette note devrait nous permettre de résumer notre petit voyage en nous plongeant dans les principales théories de la douleur évoquées à travers les âges.

Théorie de la spécificité

Si Descartes s’inscrit en précurseur de cette théorie, elle n’est réellement formulée qu’au 19ème par Von Frey (1895). Elle postule que le corps possède un système sensoriel spécifique à la perception douloureuse avec des voies dédiées montant à des régions cérébrales sensorielles spécifiques. Von Frey considère la douleur comme une sensation indépendante en lien direct avec des récepteurs sensoriels périphériques spécifiques (les nocicepteurs).

La théorie de la spécificité assume que l’information passe de la périphérie vers les centres supérieurs sans aucun traitement (modulation).

Malgré les nombreuses limitations de cette théorie (pourquoi la répétition de la stimulation augmente l’intensité ressentie? Pourquoi est-il possible de passer d’une perception de chaleur à une perception de douleur si ce sont des récepteurs différents? Comment expliquer l’hyperalgésie, les douleurs fantômes? Etc.), on peut la considérer comme étant encore très répandue dans l’esprit des patients et de certains soignants sous la forme "dommage = douleur".

Théorie des patterns

C’est Goldschneider (1920) qui va proposer une alternative à la théorie de la spécificité. Il n’est alors plus question d’avoir un système spécifiquement dédié à la perception de la douleur : désormais, les récepteurs à la douleur se partagent avec ceux déchargeant pour les autres modalités sensorielles comme le toucher. Ce sont les différences de patterns des signaux montants (comme leurs profils spatio-temporels) qui conditionnent la perception de la douleur, du toucher ou de la chaleur.

Si la théorie des patterns décrit un relais dans la moelle lors de l’ascension des informations vers les centres supérieurs, il n’est toujours pas envisagé de modulations descendantes.

Théorie du gate control

En 1965, Melzack et Wall comblent les limitations des deux théories précédentes en proposant la théorie du portillon ou gate control. C’est une théorie bien connue mais n’hésitez pas à jeter un œil ici

Du gate control à la neuromatrice

La théorie du gate control met fin aux modèles explicatifs unidirectionnels où la douleur est générée par un système à sens unique. Elle va être rapidement suivie du modèle de la neuromatrice qui s’appuie sur le constat que la douleur résulte d’une multitude d’interactions et d’échanges d’informations à plusieurs étages du système nerveux. Ce modèle « circulaire » de la douleur permet de mieux comprendre comment les composantes nociceptives, discriminatives, affectives et comportementales peuvent s’influencer mutuellement.

La modulation de l’information nociceptive ascendante se fait à chacun de ces relais multiples avant d’être intégrée éventuellement comme une perception douloureuse. Melzack assume que cette matrice neuronale est en mesure de générer la douleur sans stimulus sensoriel déclencheur (comme dans les douleurs fantômes). Il définit au passage la notion de neurosignature qui sera repris plus tard par Moseley et dont vous devez commencer à entendre parler si vous lisez ActuKiné.

Vision contemporaine multidimensionnelle de la douleur

La théorie de la neuromatrice s’inscrit pleinement dans un concept encore plus large : le modèle biopsychosocial de la douleur. La douleur n’est plus alors à considérer comme un simple phénomène neurophysiologique mais implique des facteurs psychologiques et sociaux en interrelation : des facteurs comme la culture, la famille, la nociception ou encore l’environnement influencent la perception douloureuse et affectent les émotions, cognitions et comportements des individus.
Cette vision multidimensionnelle va déboucher sur la définition actuelle de la douleur utilisée par l’International Association for the Study of Pain (IASP).

A suivre…

Pour en savoir plus…

Rey, R. (2000). Histoire de la douleur. Découverte.

Le Breton, D. (2006). Anthropologie de la douleur (Vol. 12). Editions Métailié.

Bourke, J. (2014). The story of pain: from prayer to painkillers. Oxford University Press.

Moayedi M, Davis KD. Theories of pain: from specificity to gate control. J Neurophysiol. 2013 Jan;109(1):5-12.
En accès libre ici

Khan MA, Raza F, Khan IA. Pain: history, culture and philosophy. Acta Med Hist Adriat. 2015;13(1):113-30.