Expliquer la douleur (3)
363 ans après avoir enterré René Descartes, on peut se demander si les mécanismes neurophysiologiques qui se cachent derrière le terme « douleur » sont convenablement compris à la fois de nos patients et de la plupart des professionnels de santé.

Il existe un amalgame courant entre les termes « douleur » et « nociception ». Cette confusion laisse par exemple à penser qu’une entorse de cheville (avec activation de la nociception) conduit systématiquement à une douleur de cheville et inversement, que si un sujet se plaint d’une douleur à la cheville, c’est qu’il existe nécessairement une « lésion » ou une « dysfonction » à cet endroit, ou, à la rigueur, à proximité de la zone où est perçue cette douleur. Autrement dit, il est très fréquent de mélanger « douleur perçue dans une zone du corps » avec « atteinte des tissus dans la zone en question ». Pourtant ces deux termes sont indépendants en ce sens qu’il est tout à fait possible d’avoir nociception sans douleur et douleur sans nociception.

Pour mémoire, on définit habituellement douleur et nociception comme suit (d’après l’International Association for the Study of Pain) : la nociception est le « processus nerveux d’encodage des stimuli nocifs (…) la sensation douloureuse n’est pas forcement impliquée. ». La douleur est « l’expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage ».

Le problème avec ces définitions est peut-être qu’elles n’expliquent pas assez ouvertement ces phénomènes se déroulent. Il est alors tentant pour le néophyte de penser que la douleur démarre dans le tissu et monte en direction des centres nerveux supérieurs. Il est pourtant aujourd’hui clairement établi que la douleur est une expérience complexe qui émerge au sein même du cerveau : c’est donc un phénomène neurologique central. On pourrait réserver ce terme au cerveau et proscrire son utilisation en périphérie en lui préférant des termes comme « message(s) », « influx » ou encore « information(s) ». Précisons qu’il n’est ici nullement question de vouloir « neurologiser » la douleur, c’est à dire de la réduire uniquement à la neurophysiologie mais simplement de faire comprendre au lecteur qu’à des fins pédagogiques, il est préférable de séparer les termes douleur/tissus et de rapprocher les mots douleur/cerveau.

Quelques exemples concrets demain…

Références

D’après « “Pain endings”, “pain transmission” and “pain pathways” – time to name and shame »
du blog de David BUTLER

Pour en savoir plus :
Butler DS. The sensitive Nervous System. 2001. NOI Group Publications, Adélaïde.
Butler DS & Moseley GL. Explain Pain. 2003. NOI Group Publications, Adélaïde.
Gifford L. Topical Issues in Pain series. 2002. CNS Press, UK.
Moseley GL. Painful Yarns. Metaphors and Stories to Help Understand the Biology of Pain. 2007. Dancing Giraffe Press, Australia.
Wall P. Pain. The Science of Suffering. 1999. Orion Publishing, London.