Question posée
Le strapping par des bandes collantes élastiques de l’épaule associé à programme de rééducation est-il plus efficace que la rééducation avec un bandage « placebo » [1]
Population
Personnes hémiplégiques avec un AVC de moins de 48heures. Stage de récupération motrice 1 et 2 sur la classification de Brunnstrom. Pas d’antécédent de problème d’épaule ni de réactions allergiques au sparadrap
Méthodologie utilisée
Essai multicentrique randomisé contrôle en ouvert, selon PROBE design [2]
Intervention
• Expérimentale
Strapping de l’épaule avec centrage de la tête humérale par 3 bandes élastiques adhésives associé à un programme de rééducation. Le strapping est conservé pendant 3 jours avant d’être changé. Le programme de rééducation comprenait des postures, techniques manuelles, mobilisations passives. La durée de l’intervention est de 15 jours.
• Comparateur
Programme de rééducation avec un strapping « placébo ». Les bandes élastiques adhésives sont placées sans centrage de l’épaule.
Critères d’évaluation
– évaluation subjective de la douleur VAS en 11 point sur une ligne horizontale (0-100mm),
– échelle de douleur et de fonction SPADI,
– amplitudes articulaires passives ROM mesurées à 14 jours, 30jours.
Résultats
162 patients ont été randomisés. 27 perdus de vus (n= 15 groupe expérimental et n = 12 groupe comparateur). 136 analysés selon une ITT modifiée. Les sujets entre les 2 groupes étaient comparables pour l’âge et la répartition de sexe. Des différences sont rapportées concernant les scores de douleur qui ont été prises en compte dans l’analyse.
– EVA douleur : une réduction du score de douleur est observée à j14 : 3.7 (IC 95 -6 – 13.4) et j30 : 11.9mm (IC95 1.1-22.6mm) qui n’est pas significative.
– Score SPADI (score 0 à 100) : une diminution en faveur du groupe expérimental à J14 : 3.5 (IC95 -3.6 – 10.6) et à J30 : 6.4 (IC95 -1.1 – 13.9) mais qui n’est pas significative.
– ROM : aucune différence observée
5 patients ont présenté des événements indésirables en lien avec le sparadrap du type irritations ou rougeurs cutanées. 2 dans le groupe expérimental et 3 dans le groupe comparateur.
Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent qu’il existe une réduction de la douleur et une amélioration de la fonction (sous échelle du score SPADI) après 2 semaines de traitement chez des patients avec un AVC récent, mais qui n’est pas statistiquement significative. Les effets à long terme devront être examinés par une étude de grande taille.
Commentaires Actukine
Cette étude avait pour objectif d’étudier l’efficacité d’une prise en charge des patients communément répandue dans la pratique clinique de rééducation : le «maintien » et « centrage » de l’épaule par un bandage élastique collant ou strapping pour prévenir les complications de l’épaule chez des personnes avec une hémiplégie très récente. Cet essai clinique fait suite à la publication en 2005 (révisée en 2009) d’une revue systématique Cochrane [3] ayant inclus 4 essais cliniques dont 3 concernaient des interventions avec strapping. Cette revue avait conclu à une insuffisance d’arguments en faveur de l’usage systématique du strapping en pratique clinique. Un effet avait été rapporté par les auteurs de la revue sur la durée des douleurs, mais pas sur leurs intensités ni sur la spasticité.
Les résultats sont-ils valides ?
Ce travail a été conduit de manière assez rigoureuse (randomisation, tentative d’aveugle). Toutefois, elle est aussi exposée à différents risques de biais qui peuvent modifier l’estimation des effets du traitement. Par exemple, l’absence d’aveugle possible pour le thérapeute et le patient. Le patient est en réalité l’évaluateur de l’effet du traitement pour l’échelle EVA et le score SPADI. On note également un nombre de perdus de vue > 10%. Les auteurs ont utilisé une technique d’imputation : dernière observation rapportée qui n’est pas sans critique [4] pour réaliser une analyse en intention de traitée modifiée [5] . Enfin, aucune distinction n’a été faite entre critères de jugement principaux et secondaires.
Quels sont les résultats
L’importance de la différence d’effets observés sur la douleur entre les deux groupes est modeste (3.7mm et 11.9mm) même si certains patients semblent avoir bénéficié d’un effet plus important (borne supérieure de IC = 22.6mm). Cet effet n’a été rapporté que 30 jours après l’inclusion et ne permet de juger d’un effet à long terme qui traduirait une efficacité. De plus, on ne dispose pas de données concernant la fonction de l’épaule et l’impact éventuel sur son utilisation ? Enfin, il est à noter la présence d’effets indésirables possible concernant l’usage des bandes élastiques qui présentent des risques pour la peau
Puis-je appliquer ces résultats à mes patients ?
C’est une étude multicentrique réalisée chez des patients de stade aigu. Les personnes avec des allergies cutanées avaient été exclues. Les résultats ne peuvent donc pas s’appliquer à d’autres patients.
De même, aucune information n’est fournie sur la trophicité de l’épaule et l’état du système musculo-ligamentaire des patients inclus (distension ?). L’effet d’une immobilisation par strapping peut être différent chez une personne avec une épaule flasque, sans motricité ou s’il existe une ébauche de contraction. Cette distinction n’a pas été étudiée par les auteurs. Il est à noter qu’on ne dispose pas d’éléments (par ex, contrôle radiographique) pour s’assurer que le strapping du groupe expérimental avait un effet de centrage par apport au bandage du groupe comparateur. Y avait-il réellement une différence entre les deux bandages proposés ?
Enfin pendant la phase de rééducation, la pose d’un strapping est réalisée dans le cadre d’un programme de rééducation complexe (exercices actifs, éducation thérapeutique, adaptation). L’intervention proposée dans cette étude ne correspond pas aux pratiques habituelles. Les résultats sont donc difficiles à transposer à la pratique clinique.
En conclusion, cette étude exposée à différents risques de biais ne permet pas de conclure à l’efficacité ou son absence d’efficacité du strapping pour prévenir les problèmes d’épaule chez des personnes hémiplégiques très récentes. Ce résultat confirme les résultats d’une revue systématique [3] et les recommandations faites par le panel Ottawa [6]. Ce travail nous rappelle qu’il existe une absence d’informations validées concernant l’usage de nombreux traitements et qu’ils peuvent avoir des effets indésirables. Le doute sur l’efficacité et la présence d’événements indésirables sont des éléments qui devraient garantir l’évaluation scientifique d’intervention.
Références
[1] Pandian JD, Kaur P, Arora R, Vishwambaran DK, Toor G, Mathangi S, Vijaya P, Uppal A, Kaur T, Arima H. Shoulder taping reduces injury and pain in stroke patients: randomized controlled trial. Neurology. 2013 Feb 5;80(6):528-32. doi: 10.1212/WNL.0b013e318281550e. Epub 2013 Jan 23. PubMed PMID: 23345636. lien PubMed
[ 2] Hansson L, Hedner T, Dahlöf B. Prospective randomized open blinded end-point (PROBE) study. A novel design for intervention trials. Prospective Randomized Open Blinded End-Point. Blood Press. 1992 Aug;1(2):113-9. PubMed PMID: 1366259. lien PubMed
[3] Ada L, Foongchomcheay A, Canning CG. Supportive devices for preventing and treating subluxation of the shoulder after stroke. Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, Issue 1. Art. No.: CD003863. DOI: 10.1002/14651858.CD003863.pub2. cochrane ref
[4] Chevalier P. Concepts et outils en EBM: LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent…Minerva 2008; 7(8): 128-128. cross ref
[5] Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. Minerva 2011; 10(2): 25-25. cross ref
[6] Ottawa Panel, Khadilkar A, Phillips K, Jean N, Lamothe C, Milne S, Sarnecka J. Ottawa panel evidence-based clinical practice guidelines for post-stroke rehabilitation. Top Stroke Rehabil. 2006 Spring;13(2):1-269. PubMed PMID: 16939981. lien PubMed