JOUR 3 : concept, terminologie et mécanismes

Le Dry-Needling (DN) est une technique de traitement utilisée par différents professionnels de santé à travers le monde (médecins, physiothérapeutes, etc.) utilisant des d’aiguilles d’acupuncture (sans injection de substance) insérées dans des points musculaires dits “gâchette” (“triggers”). Le DN repose sur les travaux de Travell & Simons (1) sur les “Triggers Points Myofasciaux” (TrPs) dans le cadre du “Syndrome Myofascial Douloureux” (SMD) (2).

Nous voici avec trois entités : TrP, SMD et DN. La théorie de Travell & Simons assume que le SMD est lié à la présence de différents types de TrPs à l’origine d’une nociception musculaire. Le DN visant ces TrPs seraient en mesure de les impacter spécifiquement et donc d’impacter le SMD. Pour que cette théorie soit exacte et pour justifier l’utilisation d’un traitement des TrPs comme le dry needling, il faut passer par un processus de validation scientifique et savoir, par exemple, si :
– Le TrP existe, c’est-à-dire s’il est objectivable ; il faut connaitre sa plausibilité biologique (quels mécanismes se cachent derrière) et évaluer la pertinence des critères de causalité du SMD
– Le modèle d’évaluation du TrP par un thérapeute manuel est plausible, valide et reproductible
– Le dry needling peut influencer SPECIFIQUEMENT le TrP (= dans quelle proportion les effets observés par les thérapeutes faisant du DN sont imputables à leur technique)
– Le dry needling est plus efficace et/ou plus adapté et/ou moins dangereux et/ou moins cher qu’une autre intervention (= il faut savoir si la technique est nécessaire, suffisante pour résoudre les symptômes du patient ou seulement pour avoir un effet positif sur une mesure)
– Etc.

 

Le TrP existe-t-il ?

Les données de l’EMG sont discordantes et font qu’il est délicat de conclure à la possibilité de repérage du TrP par cette technique. La visualisation semble possible par des techniques d’élastographie (couplée à l’IRM ou l’échographie), de thermographie ou encore d’ultrasonographie de haute résolution mais il faut rester prudent pour les raisons suivantes :
– Trop peu d’articles sont disponibles et ont pu être dupliqués (de plus, les protocoles utilisés sont souvent différents) (3,4)
– La question du “à quoi correspond ce qui est vu” reste en suspens : les techniques d’investigation précédemment citées sont récentes et n’ont pas été développées spécifiquement pour le repérage des TrPS. De plus, il n’existe pas de gold standard avec lequel comparer leurs résultats (autres que des critères cliniques qui ne font pas consensus) : la situation est par exemple très différente de l’utilisation de l’élastographie en cancérologie

On observe un manque de critères scientifiques concordants pour définir un TrP : une revue extensive de la littérature retrouve 19 critères de diagnostic différents pour définir les TrPs myofasciaux (5) !

Le distinguo entre TrPs actifs et latents pose également problème. Les TrPs latents sont “des zones hyper irritables d’une bande musculaire qui sont cliniquement associés à une réponse locale de twitch et une sensibilité et/ou une douleur référée à l’examen manuel” (6). Les TrPs actifs ont les mêmes caractéristiques mais ils sont les seuls à être symptomatiques. Les TrPs latents sont retrouvés en grande quantité chez les individus sains comme douloureux chroniques (7, 8). Bien pratique ce distinguo, non ? Imaginez que je remplace TrP par HD (Hernie discale). Ma “HD active” donne des symptômes mais ma “HD latente” n’en donne pas. Je retrouve bien une littérature conséquente montrant que je peux avoir une HD et que mon système nerveux s’en moque (pas de douleur). Traiter ma “HD latente” par chirurgie pourrait éviter qu’elle ne devienne une “HD active” (douleur)… sauf qu’à l’heure actuelle, personne ne passe sur le billard pour une HD sans symptôme. La littérature sur les TrPs assument l’idée que traiter les TrPs latents éviteraient qu’ils ne deviennent actifs (7). Il faudrait disposer de preuves de qualité montrant la différence sur un plan neurophysiologique (donc autre que clinique) entre ce que représente un TrP actif, un TrP latent ou encore un tender point.

 

Quels mécanismes peuvent expliquer le TrP/SMD ?

Justement, parlons un peu des mécanismes sous-jacents à ces entités : les données actuelles plaident pour des processus locaux associant inflammation et hypoxie couplés à un processus à distance de sensibilisation. Des études en micro-dialyse retrouvent des altérations du milieu biochimique compatibles avec des réactions de type inflammatoire (9) ; si pour beaucoup d’auteurs elles proviennent d’une notion de dommage tissulaire, l’hypothèse d’une altération de la fonction des nerfs périphériques ne peut être écartée et semble même plus convenable (10). “L’hypothèse intégrante” de Dommerholt et Gerwin parle d’un excès d’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire qui serait responsable de cette fameuse “taut band” (bande indurée de fibres contractées) qui elle-même créerait une ischémie et entrainerait une crise énergétique musculaire qui libérerait des facteurs pro inflammatoires et activerait la nociception. Ce modèle n’est, par exemple, pas validé par les recherches qui induisent des douleurs musculaires par injection (11). De plus, quand on injecte de la toxine botulique dans le TrP, on n’a pas d’effet sur la douleur ni sur les seuils mécaniques douloureux mais on réduit bien l’activité motrice au niveau de la jonction neuromusculaire et le bruit à l’EMG (12). Enfin, beaucoup de spécialistes suggèrent qu’il n’existe aucune preuve convaincante pour affirmer que le TrP puisse être cliniquement ou pathophysiologiquement distingué d’un tender point de la fibromyalgie (4).

 

Quelle fiabilité pour la détection des TrPs et du SDM en clinique ?

Les données scientifiques qui concernent notamment la reproductibilité du dépistage des TrPs/SDM par l’examen clinique sont curieusement assez maigres. Depuis quelques années, bon nombre d’études s’intéressent plus aux moyens d’objectiver les TrPs par imagerie et à tester les effets de leurs traitements comme le dry needling. Globalement, l’examen clinique évaluant les TrPs présente des problèmes de reproductibilité (13,14) qui devraient encourager à conduire davantage de recherches de bonne qualité dans ce domaine.

 

Le dry needling pour traiter le TrP/SMD ?

Il n’existe pas de preuve montrant que “piquer” ces TrPs (cela concerne toutes les techniques de piqure mais n’ayez crainte nous reviendrons plus spécifiquement au DN dans nos prochaines notes) ait un effet spécifique sur eux (15, 16).

 

En résumé ?

Le SMD est un syndrome, c’est-à-dire une étiquette clinique ; son intérêt réside essentiellement dans l’existence potentielle des TrPs et leur signification pathognomonique. Le TrP est une entité clinique dont les critères de diagnostic ne font pas consensus et dont les mécanismes neurophysiologiques sous-jacents ne sont pas pleinement compris. En plus des problèmes de validité concernant le SMD et les TrPs, l’examen censé permettre de les dépister présente des problèmes de reproductibilité. De nombreuses interrogations subsistent rendant le raisonnement clinique autour du dry needling approximatif… et on n’a pas encore abordé les essais cliniques concernant cette technique !

A suivre…

“Parler ou écrire dans de mauvais termes signifient penser en de mauvais termes”
Geoffrey Maitland

 

Références

(1) Simons, D. G., Travell, J. G., & Simons, L. S. (1999). Myofascial pain and dysfunction: the trigger point manual volume 1.

(2) Dommerholt, J., Mayoral del Moral, O., & Gröbli, C. (2006). Trigger point dry needling. Journal of Manual & Manipulative Therapy, 14(4), 70E-87E.

(3) Quintner JL, Bove GM, Cohen ML. A critical evaluation of the trigger point phenomenon. Rheumatology (Oxford). 2015 Mar;54(3):392-9.

(4) Bennett RM, Goldenberg DL. Fibromyalgia, myofascial pain, tender points and trigger points: splitting or lumping? Arthritis Res Ther. 2011 Jun 30;13(3):117.

(5) Tough EA, White AR, Richards S et al. Variability of criteria used to diagnose myofascial trigger point pain syndrome— evidence from a review of the literature. Clin J Pain 2007;23:27886.

(6) Ge HY, Arendt-Nielsen L. Latent myofascial trigger points. Curr Pain Headache Rep. 2011 Oct;15(5):386-92.

(7) Zuil-Escobar JC, Martínez-Cepa CB, Martín-Urrialde JA, Gómez-Conesa A. The Prevalence of Latent Myofascial Trigger Points in Lower Limb Muscles in Asymptomatic Subjects. PM R. 2016 Mar 16.

(8) Chiarotto A, Clijsen R, Fernandez-de-Las-Penas C, Barbero M. Prevalence of Myofascial Trigger Points in Spinal Disorders: A Systematic Review and Meta-Analysis. Arch Phys Med Rehabil. 2016 Feb;97(2):316-37.  

(9) Cagnie B, Dewitte V, Barbe T, Timmermans F, Delrue N, Meeus M. Physiologic effects of dry needling. Curr Pain Headache Rep. 2013 Aug;17(8):348.

(10) Quintner JL, Cohen ML. Referred pain of peripheral nerve origin: an alternative to the “myofascial pain” construct. Clin J Pain. 1994 Sep;10(3):243-51. Review.

(11) Fazalbhoy A, Macefield VG, Birznieks I. Tonic muscle pain does not increase fusimotor drive to human leg muscles: implications for chronic muscle pain. Exp Physiol 2013;98: 112532.

(12) Qerama E, Fuglsang-Frederiksen A, Kasch H et al. A double-blind, controlled study of botulinum toxin A in chronic myofascial pain. Neurology 2006;67: 2415.

(13) Lucas N, Macaskill P, Irwig L et al. Reliability of physical examination for diagnosis of myofascial trigger points: a systematic review of the literature. Clin J Pain 2009;25:
809.

(14) Myburgh C, Larsen AH, Hartvigsen J. A systematic, critical review of manual palpation for identifying myofascial trigger points: evidence and clinical significance. Arch Phys Med Rehabil. 2008 Jun;89(6):1169-76.

(15) Cummings TM, White AR. Needling therapies in the management of myofascial trigger point pain: a systematic review. Arch Phys Med Rehabil 2001;82:98692.

(16) Tough EA, White AR, Cummings TM et al. Acupuncture and dry needling in the management of myofascial trigger point pain: a systematic review and metaanalysis of randomised controlled trials. Eur J Pain 2009; 13:310.