Si vous suivez régulièrement les publications en matière de traitement de la douleur chronique, vous avez dû vous apercevoir que les notions de sensibilisation centrale et de mal-adaptation de l’organisation corticale semblent pouvoir être ciblées par des actions thérapeutiques spécifiques de type « top-down » (du « centre vers la périphérie » si vous préférez). Comme l’essence de notre profession de thérapeute manuel est constituée de techniques majoritairement « bottom-up » (de la « périphérie vers le centre »), on pourrait être tenté de mettre en opposition ces approches thérapeutiques en débattant ardemment de la supériorité relative de l’une sur l’autre.

Mettons d’ores et déjà fin au suspens : il n’est pas question d’opposer ces deux approches comme il n’est pas question d’opposer par exemple nociception et sensibilisation centrale. En regard des données scientifiques actuelles, il n’est pas recommandé de limiter la prise en charge d’un patient chronique à une approche exclusivement top-down ou bottom-up : l’heure est clairement à la pluridisciplinarité et à la complémentarité des praticiens et de leurs techniques pour tenter de venir en aide aux sujets chroniques. Voici donc une étude (1) dans cette mouvance…

CONTEXTE : l’étude de Schabrun (1) reprend une partie des caractéristiques de l’étude préliminaire de Boggio (2) et vient en corroborer les résultats. L’objectif était d’étudier les effets de deux traitements administrés simultanément : la tDCS (stimulation transcranienne à courant direct) et la PES (stimulation périphérique électrique ici équivalente du TENS). On souhaitait observer leurs effets sur la douleur, l’organisation corticale, la fonction sensorielle et la sensibilisation.

METHODE : l’étude de type cross-over impliquait 16 sujets ayant des épisodes récurrents de lombalgie chronique non spécifique (au moins 2 épisodes ces 12 derniers mois). Chacun recevait en aveugle 4 séances de traitement de 30 minutes dont les contenus étaient différents :
– tDCS et PES
– tDCS réel et PES factice
– tDCS factice et PES réel
– tDCS et PES factices
Les critères de mesures étaient : la douleur (échelle numérique NRS-11) avant, juste après, à 24h puis à 3 jour ; la magnitude de la réorganisation corticale (testée par potentiels moteurs évoqués sous TMS), la sensibilisation neurale (mesure des seuils de pression à la douleur localement et à distance par algomètre accompagnée d’un test de Schöeber) et la fonction sensorielle supérieure (par test de discrimination de deux points-TPD) avant et immédiatement après le traitement.

RESULTATS : la combinaison des deux traitements tDCS (top-down) et PES (bottom-up) améliorait la douleur et la réorganisation corticale, réduisait la sensibilisation et améliorait la fonction sensorielle. Si la douleur était aussi améliorée par l’administration seule de tDCS et de PES (en fait une baisse de 2.5-2.8 points pour les 3 conditions de traitement actif), la plupart des mesures neurophysiologiques et cliniques n’étaient pas améliorées par l’application séparée de ces deux traitements. Aucun changement n’était observé avec les procédures factices.

CONCLUSION : c’est l’application d’une procédure « top-down » couplée à une procédure « bottom-up » qui semble être la plus efficace à la réduction de symptômes d’une lombalgie chronique non spécifique.

Remarque sur les mécanismes possibles de fonctionnement combiné : si la tDCS seule n’a aucun effet sur le volume des cartographies (notion d’excitabilité corticospinale) et si la PES seule tend à les diminuer, le traitement combiné tend quant à lui à augmenter leur volume ! Il est important d’avoir cette notion à l’esprit car c’est la seule combinaison de ces approches qui a un impact positif sur la sensibilisation. Ainsi, les auteurs parlent d’effet « priming » (ou « effet d’amorçage »), c’est-à-dire qu’une des interventions va augmenter la réponse du cerveau et de la moelle à la seconde intervention. Les auteurs spéculent sur le mécanisme d’action possible : la PES pourrait réduire l’excitabilité corticale par le biais d’une dépression à long terme (LTD – Long Term Depression) qui rendrait les réseaux neuronaux plus sensibles aux courants de dépolarisation anodique de la tDCS.

Références

(1) Schabrun SM, Jones E, Elgueta Cancino EL, Hodges PW. Targeting chronic recurrent low back pain from the top-down and the bottom-up: a combined transcranial direct current stimulation and peripheral electrical stimulation intervention. Brain Stimul. 2014 May-Jun;7(3):451-9. doi: 10.1016/j.brs.2014.01.058. Epub 2014 Jan 30. Abstract ici
Jo Nijs en parle ici
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(2) Boggio PS, Amancio EJ, Correa CF, Cecilio S, Valasek C, Bajwa Z, Freedman SD, Pascual-Leone A, Edwards DJ, Fregni F. Transcranial DC stimulation coupled with TENS for the treatment of chronic pain: a preliminary study. Clin J Pain. 2009 Oct;25(8):691-5. doi: 10.1097/AJP.0b013e3181af1414. Abstract ici

(3) Reidler JS, Mendonca ME, Santana MB, Wang X, Lenkinski R, Motta AF, Marchand S, Latif L, Fregni F. Effects of motor cortex modulation and descending inhibitory systems on pain thresholds in healthy subjects. J Pain. 2012 May;13(5):450-8. doi: 10.1016/j.jpain.2012.01.005. Epub 2012 Apr 18. Abstract ici