3 raisons pour lesquelles les kinés devraient savoir lire des imageries
1 – Renforcer l’alliance thérapeutique
Les patients ont souvent de fortes attentes à recevoir des imageries, généralement afin d’être rassurés quant à l’absence de gravité et de donner du sens à leur plainte. Cependant, ils n’ont pas toujours l’opportunité de rencontrer sur leur parcours de soin des professionnels de santé qui auront pris le temps de leur expliquer leurs résultats et de s’assurer qu’ils en aient une compréhension juste. Eventuellement, certains patients se verront vulgariser la conclusion du compte-rendu. Exemple : Discopathie dégénérative ⇨ « vos disques sont usés »
Aussi, nous, kinésithérapeutes, qui arrivons en bout de chaîne de soins, avons la possibilité de prendre le temps de débriefer avec eux leurs résultats d’imagerie. En effet, nous avons la chance de disposer avec nos patients d’un temps incommensurable par rapport aux autres professionnels de santé puisque nous sommes le plus souvent amenés à les recevoir plusieurs fois 30 minutes. Il est donc de notre ressort de demander à nos patients ce qu’on leur a expliqué de leurs imageries et ce qu’ils en ont compris. Exemple : « Qu’avez-vous compris de vos imageries ? Que vous en a-t-on dit ? »
Cela peut concerner notamment les aspects diagnostiques (« Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Est-ce que c’est grave ? »), pronostiques (« Quelles sont mes chances d’aller mieux ? Combien de temps cela peut prendre ? ») et thérapeutiques (« Qu’est-il possible de faire pour m’aider ? »). Prendre le temps d’ouvrir cette conversation, c’est donner l’opportunité :
➡️ Pour le patient d’exprimer la manière dont il se représente sa situation et éventuellement les émotions qui y sont associées ; Exemple : « Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Qu’avez-vous ressenti en lisant votre compte-rendu / quand on vous a dit …»
🤫 Un peu de pratique avec ce guide ➡️ Guide Edu-Douleur – Kinéfact
➡️ Pour le kinésithérapeute de mettre en avant sa disponibilité et ses compétences (professionnalisme) à pouvoir traiter de ce sujet. Exemple : « Aimeriez-vous que l’on prenne un moment pour reprendre ensemble vos imageries ? »
C’est également pour nous l’occasion de prendre connaissance des discours qui ont été tenus au patient avant nous et par quels professionnels de santé. Cela nous permettra notamment de savoir comment nous aligner par rapport à ce qui a déjà été dit et comment communiquer auprès du patient. Exemple : « Le radiologue m’a dit que j’avais les disques usés. J’ai peur que bouger aggrave ma situation. »
En particulier, il faudra autant que possible valoriser le parcours de soin réalisé et éviter de multiplier les discours divergents car on sait que leur multiplicité amène à de la confusion et éventuellement à une plus grande détresse émotionnelle. Exemple : « Le radiologue m’a dit que mes disques sont usés mais mon kiné dit que le problème vient de ma posture. »
En définitive, il sera alors essentiel de les écouter et de valider, de reconnaître la légitimité de l’expérience vécue par le patient. Exemple : « Je vois que vous résultats d’imagerie vous inquiète. J’entends aussi que vous êtes un peu perdu avec tout ce qu’on vous a dit, et je comprends que ce soit frustrant pour vous de ne pas savoir quoi penser exactement. »
Pour finir, les données issues de la recherche, notamment qualitative, nous apprennent que ces attitudes du thérapeute sont valorisées par les patients, constituent des facteurs importants de satisfaction et contribuent ainsi à renforcer l’alliance thérapeutique. Or, on sait également qu’en rééducation, une alliance thérapeutique forte est un facteur déterminant dans la réussite de la prise en charge.
Déterminants de la satisfaction des patients (Hush JM, Cameron K, Mackey M. Patient satisfaction with musculoskeletal physical therapy care: a systematic review. Phys Ther. 2011 Jan;91(1):25-36)
2 – Rassurer le patient
Si l’imagerie est souvent passage obligé du processus diagnostique, elle n’est cependant pas exempte d’effets indésirables (comme toute intervention médicale). Notamment, elle est souvent source d’anxiété pour les patients, comme on l’a déjà évoqué plus tôt. En effet, dans l’imaginaire des patients et des praticiens, l’imagerie est souvent vue comme permettant de « mettre un visage sur la douleur », ou tout du moins sur ses causes supposées. Sauf que ce faisant, l’imagerie entérine l’idée que la cause de la plainte du patient réside dans une défaillance de son anatomie et que la douleur est son expression.
Quelle idée plus angoissante ?
La peur (de la douleur, de bouger, d’aggraver, de l’avenir), l’anxiété, l’hypervigilance et l’évitement (de toute activité susceptible d’augmenter la douleur / d’aggraver le problème) sont des conséquences logiques de cette idée. C’est ce que nous apprend le désormais célèbre modèle de peur-évitement de Vlaeyen et Linton, développé au début du siècle.
Modèle de peur-évitement (traduction personnelle)
L’imagerie, et les messages qui en découlent à travers les discours et les attitudes des professionnels sont susceptibles d’enfoncer le patient dans un cercle vicieux de peur et d’évitement qui le conduit à plus d’invalidité et donc à un plus mauvais pronostic fonctionnel. En cela, on parle d’effet iatrogène de l’imagerie (effet nocebo). Cet effet est bien documenté dans la littérature.
Une autre conséquence de cette idée est que les attentes des patients en termes de thérapeutiques s’orientent tout naturellement vers des interventions visant ces structures anatomiques défaillantes, et donc à des interventions plus invasives comme les infiltrations ou la chirurgie. Pour le dire autrement, il est normal dans ces conditions que les patients s’attendent à ce que la kinésithérapie ne soit pas efficace. Or, on sait aussi qu’avoir de faibles attentes dans la réussite d’un traitement amène à de moins bons résultats avec ce traitement. Et cela paraît logique en ce qui concerne la rééducation qui est une thérapeutique qui requiert des patients de s’investir et de persévérer parfois au long cours.
Sachant cela, nous avons encore une fois l’opportunité, nous, kinésithérapeutes qui arrivons en bout de chaîne, d’essayer de réduire les impacts négatifs de l’imagerie en rassurant les patients (quand cela est possible) sur leur pronostic et les chances de succès de la kinésithérapie, indépendamment du diagnostic. Il s’agit d’ailleurs d’une des recommandations de la Haute Autorité de Santé dans le cadre de la lombalgie commune.
Haute Autorité de Santé (2019 ) – Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune – Recommandations de bonne pratique
Vous découvrirez dans l’e-learning comment faire ! Quoiqu’il en soit, l’alliance thérapeutique – dont nous avons déjà souligné l’importance – sera un pré-requis nécessaire pour avoir dans les yeux du patient la légitimité suffisante pour pouvoir le rassurer. « Pas de réassurance sans alliance »
3 – Faciliter la communication inter-professionnelle
Enfin, la dernière raison pour laquelle les kinés devraient savoir lire les imageries est de favoriser la communication entre les différents acteurs du parcours de soin des patients. Il est indispensable pour cela que les kinésithérapeutes s’approprient le jargon, les concepts et les codes des partenaires de soin, notamment médicaux, dans le but de partager un langage commun qui facilitera les échanges.
- Une communication plus efficace aidera à renforcer la collaboration inter-professionnelle, à mieux coordonner les soins et à terme à augmenter l’efficacité de la prise en charge multi-disciplinaire.
- Au passage, cela peut contribuer à réduire la divergence des discours dont nous avons souligné plus tôt la nocivité, mais aussi à augmenter le sentiment d’encadrement pour le patient.
- Du point de vue du patient, il est général plus rassurant de sentir de la cohérence et de la cohésion entre ses différents thérapeutes que de la dissension ou du désaveu.
- Enfin, nous augmentons notre légitimité à concourir, en partenariat avec le corps médical, à la corroboration ou au contraire au redressement d’un diagnostic, ainsi qu’à orienter les stratégies thérapeutiques.
Conclusion
En conclusion, bien que l’imagerie peut jouer contre l’intérêt des patients, nous pouvons aussi en faire une alliée en ceci qu’elle nous ouvre des opportunités si l’on sait les faire émerger.
Avec cet e-learning, vous apprendrez à décrypter les imageries du rachis lombaire et à utiliser les utiliser à l’avantage du patient !
Ressources complémentaires
Joshua Lavallée pour Actukiné : E-learning : comprendre l’imagerie lombaire pour faire passer votre traitement à la vitesse supérieure
KinéFact : Qu’est-ce qui importe le plus aux patients en consultation de kinésithérapie musculo-squelettique ?
Placebo et Effets contextuels : Créer une alliance thérapeutique
CorKinetic : The most important thing people with back pain want – Information
Le temps d’un lapin – Épisode 3 : Les mots des personnes lombalgiques
Références
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