(Florian Bailly) : Bonjour Yannick. Bien sûr ! Je ferai une réponse par rapport à ces recommandations françaises anciennes mais également par rapport aux recommandations internationales plus récentes (notamment celles anglaises, danoises, belges et anglaises). Le point le plus important est d’arrêter de diviser la lombalgie uniquement sur un critère temporel (aigu / subaigu / chronique) et en considérant la lombalgie aiguë comme bénigne. Nous avons proposé d’utiliser le terme de "lombalgie à risque de chronicité" pour définir une partie des patients ayant une lombalgie qui n’est pas encore chronique mais dont il faut s’occuper prioritairement et surtout précocement. Car une fois que le patient est en arrêt de travail depuis plusieurs mois et a des croyances ancrées, c’est difficile de faire le chemin arrière.
Nous avons aussi souligné qu’il ne faut pas forcément prendre en compte l’épisode actuel isolé de lombalgie mais que des épisodes répétés de lombalgie aiguë ("lombalgie récidivante") sont à risque de chronicité.
Dans mes études de médecine (pas si vieilles), j’avais appris lombalgie aiguë = médicaments, pas de kiné, lombalgie chronique = kiné. Ici pour certains patients à risque de chronicité nous avons justement souligné l’intérêt d’une prise en charge non médicamenteuse précoce. Les médicaments antalgiques sont possibles, mais ne sont plus obligatoires (la page des traitements non médicamenteux est avant celle sur les médicaments, ce n’est pas un hasard)
Nous avons insisté beaucoup sur le maintien en emploi, qui est une réelle préoccupation des patients et des soignants.
L’éducation à la neurophysiologie de la douleur a également été introduite. C’est très important à mon sens d’expliquer aux patients (et aux soignants !) qu’il n’y a pas de lien direct entre douleur et lésion dans le dos. Certaines techniques comme la relaxation, méditation, hypnose ou sophrologie sont proposées dans le cadre d’une prise en charge multidisciplinaire.
La prévention secondaire est également proposée, car c’est bien de s’occuper de la poussée aiguë de lombalgie, c’est mieux d’éviter la survenue de nouvelles poussées ultérieures !
Et enfin nous avons fait un algorithme pour guider les professionnels de santé dans les différentes étapes de la prise en charge du patient ayant une lombalgie commune avec ou sans radiculalgie.
(YBC) : la recommandation de l’APTA (American Physical Therapy Association) de 2012 n’est pas citée parmi vos nombreuses sources. Y a-t-il une raison particulière ?
(FB) : La raison est toute simple : nous avons inclus toutes les recommandations de janvier 2013 à décembre 2018, et actualisé ces données en réalisant une recherche bibliographique des méta-analyses de 2015 à 2018.
(YBC) : pourquoi avoir maintenu la prise de paracetamol en première intention alors que la plupart des travaux actuels ne montrent pas de supériorité face au placebo (ex : revue Cochrane 2016) ?
(FB) : Toutes les méta-analyses et recommandations ont été modifiées par un article du Lancet de 2014 qui a prouvé que le paracétamol ne diminuait pas la durée d’un épisode de lombalgie aiguë. Mais les AINS n’ont qu’une efficacité partielle sur douleur et fonction (sans preuve solide de diminution de durée, notamment parce qu’on le prescrit en cure courte). Et les études sur les opioïdes sont manquantes (alors qu’il existe des risques avec ces médicaments).
Au final nous avons mis en introduction une phrase qui dit qu’aucun médicament ne modifie l’évolution de la lombalgie sur le moyen terme.
(YBC) : une des clefs du document réside dans la reconnaissance du risque de chronicisation du patient par le praticien de première ligne. Pour ce faire, vous citez deux outils multidimensionnels (le StartBack ST et l’Orebro) et quelques outils unidimensionnels (HADS, FABQ). Certains outils sont encore méconnus des prescripteurs, peuvent être difficiles à implanter en consultation (timing), peuvent conduire à des pronostics/décisions thérapeutiques erronés (avec le SBST, les "à faibles risques" peuvent chroniciser dans de larges proportions – ex : Suri et al., 2018 ), etc. Face à la difficulté d’évaluer le risque de chronicité, quels conseils pourriez-vous offrir aux professionnels de première ligne ?
(FB) : Je me doute que ce n’est pas parce que ces questionnaires sont cités qu’ils seront utilisés dans toutes les consultations. Le StartBack ou l’Orebro sont très rapides, mais tout de même plus long que si l’on ne fait rien. Qu’ils soient connus est déjà une première étape. Et pour ceux qui sont allergiques aux questionnaires, demandez à votre patient si il pense qu’il va s’améliorer ! Celui qui pense que non (parce qu’il a des fausses croyances, parce qu’il est anxieux, ou juste car c’est le 5ème épisode de l’année) est déjà probablement un très bon indicateur ! (Cette phrase n’est pas très Evidence-based medicine, mais je l’assume!). Et celui-là, il faudra lui proposer un traitement plus intensif.
(YBC) : Le document mentionne l’importance de la centration sur le patient et particulièrement le recours à la prise de décision partagée. Celle-ci peut s’avérer piégeuse sur le terrain expliquant souvent les difficultés des praticiens à y avoir recours dans le champ musculosquelettique. Prenons un ex : soit, un patient avec lombalgie commune depuis 4 semaines et sans drapeau rouge qui demande une imagerie pour être rassuré et pouvoir reprendre des activités physiques qu’il évite (drapeau jaune) : dans ce cas, il peut y avoir conflit de valeurs entre la position de prescrire (drapeau jaune) et celle de ne pas prescrire (absence de drapeau rouge/timing) : quelle est la position à conseiller au prescripteur ?
(FB) : Effectivement nous avons parlé de décision médicale partagée. Elle était liée principalement aux traitements médicamenteux (ça ne sert a rien de donner un médicament préalablement mal toléré ou non efficace). Et les patients sont très demandeurs d’une imagerie afin de comprendre ce qui fait mal. Il faut leur expliquer à la fois les nombreuses anomalies chez les sujets sains et l’absence de corrélation entre les douleurs et les anomalies radiologiques. Même si c’est un propos réducteur, j’explique souvent qu’une bonne part des douleurs est d’origine musculaire, et qu’un muscle qui fait mal ne se voit pas en IRM. Ce n’est pas facile tout le temps mais cela évite des craintes et croyances erronées qui sont délétères pour l’évolution favorable de la lombalgie.