L’histoire de la douleur est avant tout l’histoire des hommes, de leurs pensées, croyances, connaissances, cultures et bien évidemment de leurs médecines. L’Homme est passé par des réflexions très différentes vis-à-vis de la douleur : souhaiter la faire disparaitre le plus vite possible sans en chercher les causes ni les mécanismes, la subir sans vouloir l’atténuer, la valoriser et en changer la signification (cf. le culte des martyrs en signe de témoignage de sa Foi : notez que le mot patient trouve des origines dans le latin passio (Passion) / patior (souffrir, éprouver, endurer), etc.
Nous allons tenter de traverser l’histoire des Hommes en dégageant brièvement quelques notions fondamentales nous permettant de mieux comprendre les différentes positions tenues par l’être humain, qu’il soit patient ou soignant, face à la douleur. Cette série de brèves nous permettra de déboucher sur les définitions modernes de la douleur et ses théories. En route !
LA DOULEUR DANS LES SOCIÉTÉS PRIMITIVES
Il ne fait aucun doute que l’homme préhistorique était déjà un être qui ressentait la douleur. Si l’existence d’une médecine au néolithique (environ entre 9000 et 3000 ans av-JC) peut à première vue faire sourire, il existe bel et bien des traces de soins dentaires (1,2), de trépanations (3), d’amputations (4), etc. réalisés à cette époque.
De ces découvertes découlent plusieurs hypothèses qui paraissent plutôt co-existantes (4) :
– Ces procédures pouvaient comporter une valeur magique, mystique ou encore initiatique (avec un objectif de faire sortir du corps des éléments mauvais) ;
– Elles pouvaient être réalisées dans un but thérapeutique, c’est-à-dire la recherche d’un soulagement ;
– Des rituels de sacrifices humains (cannibalisme, trophée de guerre, etc.) ne sont pas à exclure.
Cette médecine du néolithique ne se borne pas à des gestes invasifs mais inclue l’hypothèse des premières traces de « rééducation » :
« En effet, on constate souvent, sur les surfaces articulaires abrasées, l’existence de véritables néo-facettes formées graduellement aux dépens de l’os privé de son cartilage. Ces petites facettes sont polies, voire éburnées, semblables à du marbre, résultat qui n’a pu être obtenu que grâce à la mobilisation volontaire de l’articulation malade, en dépit de la douleur provoquée par cette manœuvre. Si l’on considère que, chez nos contemporains, cette douleur entraîne plutôt, comme conséquence, l’immobilité plus ou moins voulue qui finit par se solder par une ankylose partielle ou totale, on ne peut qu’admirer le courage des Hommes préhistoriques qui s’imposaient une discipline rigoureuse aboutissant, à force de volonté et de persévérance, à sauvegarder la mobilité de leurs articulations menacées par la raideur et l’ankylose à la suite de lésions dégénératives ou post-traumatiques. » (3).
Deux points soulevés par Jean Dastugue (5) sont particulièrement intéressants par rapport à cette époque :
– L’installation du « colloque singulier » (la relation soignant-soigné) qui permet à l’un d’imposer son savoir thérapeutique, et à l’autre de l’accepter ;
– Loin de constituer une première définition de la douleur, le comportement face à la douleur est hypothétiquement un « mépris de la douleur qui n’est que le corollaire obligé de la lutte pour la vie ».
Il est très difficile de se faire une idée des émotions et des cognitions que provoque la douleur chez l’homme à cette période mais il semble en tout cas qu’il entre en ACTION face au phénomène douloureux. Si cette action peut parfois nous faire penser à une recherche de soulagement, les notions de comportement motivé par la notion de préservation de l’espèce (la survie) et indirectement de fonctionnalité prévalent.
A suivre …
Références
En accès libre ici
(2) Coppa A, Bondioli L, Cucina A, Frayer DW, Jarrige C, Jarrige JF, Quivron G, Rossi M, Vidale M, Macchiarelli R. Palaeontology: early Neolithic tradition of dentistry. Nature. 2006 Apr 6;440(7085):755-6.
Abstract ici
(3) La médecine préhistorique sur France Culture
(4) La médecine aux temps préhistoriques
(5) Mieux connaitre les travaux de Jean Dastugue