Les conclusions de ce travail (sous presse) sont intéressantes pour comprendre l’écart entre les données de l’Evidence Based Medecine et leur mise en application dans nos pratiques quotidiennes.
Introduction :
Le programme évalué parallèlement consiste en une série d’exercices auto-gérés pour les tendinopathies de la coiffe des rotateurs, à l’opposé des processus de raisonnement clinique des physiothérapeutes anglais car douloureuse et responsabilisante pour le patient.
Partant du constat qu’il faut 17 ans pour que les données de la recherche se retrouvent en pratique clinique [2], les auteurs ont mené une étude qualitative auprès des physiothérapeutes participant à ce programme pour déterminer les obstacles et facilitateurs de sa mise en œuvre future.
Méthodes :
C’est une étude qualitative menée selon une méthode favorisant le discours individuel sur la pratique. Le recrutement des physiothérapeutes s’est fait au sein des évaluateurs participant à l’étude randomisée.
Les chercheurs ont mené des entretiens individuels lors des rencontres de coordination de l’étude randomisée.
Ces entretiens ont été conduits autour d’une grille semi-structurée et de thèmes pré-définis (voir image), enregistrés et transcrits mot-à-mot puis analysés.
Résultats :
13 physiothérapeutes ont été inclus, avec une durée moyenne d’entretien de 12 minutes (6-19 minutes). 54% d’hommes, avec 9,4 ans d’expérience en moyenne (1-32 ans). 5 d’entre eux ont déclaré une formation post-universitaire.
Discussion :
L’auteur détaille les aspects limitants et favorisants la mise en œuvre du programme d’auto-rééducation testé, que l’on peut retrouver dans l’article.
Plus intéressant à développer ici, les auteurs discutent de la place des conclusions de la recherche dans le raisonnement clinique.
Leurs données semblent montrer que les preuves publiées ne sont pas les principaux moteurs du changement dans les soins courants : indépendamment des résultats de l’étude randomisée, pour certains physiothérapeutes l’intervention diffère suffisamment de leur approche privilégiée pour que sa mise en œuvre dans la pratique clinique soit difficile.
D’autres facteurs comme les croyances et dogmes de la formation initiale, l’expérience antérieure et l’interaction avec les collègues et leaders d’opinion apparaissent ainsi nettement dominants quand il s’agit de dicter, modifier ou conforter sa pratique.
Par contre, les physiothérapeutes interrogés semblent plus enclins à modifier leur pensée actuelle quand ils sont engagés, partie prenante dans la recherche : certains ont commencé à intégrer le programme à leurs soins avant même la connaissance des résultats, ce qui installe la recherche ou l’équipe qui la conduit à la place du leader d’opinion, moteur de modification de la pratique clinique.
Par ailleurs, cette adhésion du thérapeute au programme de recherche (ou de rééducation) et à ses données est importante. On sait que les croyances des professionnels de la santé influencent les conseils qu’ils offrent aux patients et donc influent sur les croyances de leurs patients [3][4].
Conclusion :
Faites de la recherche en équipe et impliquez le plus grand nombre de vos collègues ! Vous favoriserez le développement d’une pratique plus à l’écoute des preuves établies (scientifiquement), car vos co-investigateurs en seront un engrenage.
C’est autant de points d’ancrage au développement de l’EBM.
Limite de l’étude :
Les 13 participants étaient déjà impliqués dans l’étude contrôlée randomisée ce qui biaise la représentativité de l’échantillon.
Référence de l’article :
Littlewood C, et al. Understanding the barriers and enablers to implementation of a self-managed exercise intervention: a qualitative study. Physiotherapy (2015).
Bibliographie citée dans la note AK :
[1] Littlewood C, Ashton J, Mawson SJ, May S, Walters SJ. A mixedmethods study to evaluate the clinical and cost-effectiveness of a self-managed exercise programme versus usual physiotherapy for chronicrotator cuff disorders: protocol for the SELF study. BMC MusculoskeletDisord 2012;13:62, http://dx.doi.org/10.1186/1471-2474-13-62.
[2] Morris Z, Wooding S, Grant J. The answer is 17 years, what is thequestion: understanding time lags in translational research. J R SocMed 2011;104:510–20.
[3] Bishop A, Thomas E, Foster N. Health care practitioners’ attitudes andbeliefs about low back pain: a systematic search and critical review ofavailable measurement tools. Pain 2007;132:91–101.
[4] Darlow B, Fullen B, Dean S, Hurley D, Baxter G, Dowell A. Theassociation between health care professional attitudes and beliefs andthe attitudes and beliefs, clinical management, and outcomes of patientswith low back pain: a systematic review. Eur J Pain 2012;16:3–17.
Article soumis le 10 mars 2015 et accepté le 11 mars après mise en forme.