Dorénavant, le Tigre gémit plus qu’il ne rugit : encore un énième abandon de tournoi pour Tiger Woods avec en prime un forfait pour la Ryder Cup…
Motif : une lombalgie récurrente qui a transformé notre féroce félin en un gentil matou se déplaçant à quatre pattes sur le green. Évidemment, il n’en faut pas davantage pour que la presse se déchaîne et fasse courir les informations les plus absurdes sur un mal commun qui touche aussi des primates hors du commun.

Peter O’Sullivan* propose une analyse argumentée des déclarations du champion, de son staff et bien entendu des médias dans un article sur le blog du BMJ. Il insiste notamment sur les croyances vis-à-vis de la lombalgie commune et leurs renforcements entretenus par bon nombre de professionnels de santé. Mode d’emploi d’une déconstruction en règle à partir de 5 phrases qui font décidément bien mal :

1/ "Tiger a un nerf coincé dans son dos qui lui fait mal" : cette phrase permet à Peter de soulever le problème de l’apport de l’imagerie dans cette affection : il fait remarquer les problématiques liées aux nombreux faux positifs, au fait que l’imagerie n’est pas un bon pronostiqueur de futures lombalgies et est faiblement corrélé à la douleur et l’incapacité (1, 2). Il revient aussi sur les effets iatrogènes des procédures d’imagerie anticipées (3).

2/ "Tiger a eu une microdiscectomie pour un problème de nerf coincé qui durait depuis plusieurs mois" : en cas de discopathie, l’histoire naturelle de l’affection est généralement bonne ; la chirurgie obtient les mêmes résultats à long terme que d’autres procédures non invasives (4). De telles chirurgies sont à limiter aux cas de syndrome de la queue de cheval et de douleur radiculaire avec déficits neurologiques progressifs (5).

3/ "Mon sacrum était déplacé et a été remis par mon physio" : Les thérapies manuelles passives ne changent pas l’évolution naturelle d’une lombalgie et ont un rôle limité dans le management des affections lombaires (6). Les croyances vis-à-vis d’une pièce osseuse structurellement déplacée sont à combattre car elles risquent d’augmenter les craintes, l’anxiété et l’hyper-vigilance des patients envers un faux problème.

4/ "Je dois renforcer les muscles profonds de mon dos pour rejouer au golf" : Travailler les fameux muscles profonds stabilisateurs est «à la mode» bien que les preuves actuelles montrent surtout une tendance des lombalgiques à avoir une augmentation de l’activité des muscles du tronc en co-contraction, une activation plus anticipée (transverse de l’abdomen) et une incapacité à relâcher les muscles stabilisateurs comme le multifide (7). Les ECR les plus récents ne montrent pas de supériorité des techniques de renforcement des muscles profonds sur les autres procédures (placebo, thérapies manuelles ou autres types d’exercices) (8).

5/ "Que doivent faire les cliniciens"? Pour O’Sullivan, les praticiens doivent comprendre en priorité qu’une douleur récurrente au dos ne signifie pas systématiquement que les structures du dos sont endommagées mais plutôt qu’elles sont sensibilisées. Il conseille d’analyser la problématique du patient sous différents angles en tentant de repérer les facteurs qui pourraient participer à la présentation. En voici quelques grandes lignes directrices :
– Recourir à un interrogatoire minutieux
– L’examen physique est utilisé pour tenter d’identifier les structures sensibles et les caractéristiques associées à la douleur
– Il faut soigneusement observer les mouvements qui provoquent la douleur puis utiliser des stratégies qui puissent permettre de les réaliser en la contrôlant au maximum
– Pour des populations sédentaires : évaluer la condition physique
– Repérer et travailler sur d’éventuels facteurs pyschosociaux (surtout quand la composante centrale est importante)
Reportez-vous aux articles de son équipe pour plus de détails*

Toute l’équipe d’ActuKiné souhaite en tout cas à Mr Woods de retrouver rapidement son œil du tigre (9) …

Références

Article complet ici

1 Deyo, R. (2002). “Diagnostic Evalution of LBP. Reaching a Specific Diagnosis Is Often Impossible.” Archives of Internal Medicine 162: 1444-1447.

2 Jarvik JG, H. W., Heagerty PJ, Haynor DR, Boyko EJ, Deyo RA. (2005). “Three-year incidence of low back pain in an initially asymptomatic cohort: clinical and imaging risk factors.” Spine 30: 1541-1548.

3 Webster BS, C. M. (2010). ” Relationship of Early Magnetic Resonance Imaging for Work-Related Acute Low Back Pain With Disability and Medical Utilization Outcomes.” J Occ Environ Med 52: 900 – 907.

4 Benson, R., S. Tavares, S. Robertson, R. Sharp and R. Marshall (2010). “Conservatively treated massive prolapsed discs: a 7-year follow-up.” Ann R Coll Surg Engl 92: 147–153.

5 O’Sullivan, P. and I. Lin (2014). “Acute low back pain: beyond drug therapy.” Pain management Today 1(1): 1-13.

6 Rubinstein, S., M. Middelkoop, W. Assendelft, M. d. Boer and M. v. Tulder (2009). “Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain.” The Cochane Library.

7 Gubler, D., A. Mannion, P. Schenk, M. Gorelick, D. Helbling, H. Gerber, V. Toma and H. Sprott (2010). “Ultrasound tissue Doppler imaging reveals no delay in abdominal muscle feed-forward activity during rapid arm movements in patients with chronic low back pain.” Spine 35: 1506 – 1513.

8 Costa, L., C. Maher, J. Latimer, P. Hodges, R. Herbert, K. Refshauge, J. McAuley and M. Jennings (2009). “Motor Control Exercise for Chronic Low Back Pain: A Randomized Placebo-Controlled Trial.” Physical therapy reviews 89(12): 1275-1286.

9 Balboa R. 1976. Un chef d’œuvre de réalisme signé JG Avildsen dont la filmographie est quelque peu inquiétante.

*Plus de détails sur le CB-CFT de l’équipe à O’Sullivan avec article en téléchargement gratuit ici
Et leur site internet dont nous vous avions déjà parlé
Article AK en lien avec le sujet (1)
Article AK en lien avec le sujet (2)