Un peu d’autocritique n’a jamais fait de mal à personne. Si vous lisez des essais cliniques et si vous tentez d’interpréter leurs résultats, les expliquer à des confrères ou les transposer à votre pratique de terrain, il faut veiller à ne pas tomber dans quelques pièges classiques récapitulés sur le blog the Conversation. Vous pouvez être certain d’avoir commis au moins une fois une des 10 boulettes répertoriées dans les notes qui vont suivre : 10 erreurs en 10 semaines sur ActuKiné : en voiture !!!

Boulette n°8 : « Les modèles sont des représentations de la réalité et ne sont pas parfaits »

Cette semaine Actukiné fait tomber un mythe né dans les années 80 et qui a encore la peau dure dans les cours d’écoles élémentaires : malgré le succès de "Il était une fois… la vie", non, il n’y a pas de petits personnages qui circulent partout dans votre corps pour vous expliquer comment celui-ci fonctionne… Mais il est vrai que ce dessin animé était fichtrement bien fait et a permis à toute une génération d’en apprendre davantage sur le corps humain (en tout cas, bien avant les rendez-vous du premier samedi du mois sur chaine cryptée). S’agissait-il d’une véritable tentative de modélisation scientifique ? Sans doute pas… mais je n’avais pas mieux pour introduire mon sujet!

Il n’est pas rare de trouver des modèles dans nos articles scientifiques. Ce terme est particulièrement difficile à définir et ne doit pas être confondu avec les notions de théorie et de schéma (1). Certaines erreurs de lecture d’articles peuvent découler d’une mauvaise interprétation de ce qu’est un modèle. En sachant qu’il est difficile d’être exhaustif, un modèle est :

– Un moyen servant à la fois à se représenter un phénomène et à l’étudier ;
– Toujours un modèle de quelque chose (similarité) pour quelque chose (utilité). Son objectif pratique est un gain de connaissance scientifique ;
Provisoire et partiel en ce sens que l’évolution des connaissances et de la compréhension de ce qu’il représente mène à sa transformation ou à son rejet : comme il faut le confronter aux résultats de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, il doit être réajusté régulièrement en fonction des données scientifiques disponibles ;
Limité : il simplifie certaines caractéristiques de l’objet ou du phénomène étudié. Un modèle est toujours plus simple que l’objet, le phénomène ou le processus qu’il est supposé représenter et expliquer.

Finalement, on pourrait dire qu’un modèle est toujours partiellement inexact car il n’est qu’une représentation simplifiée, relative, incomplète et temporaire d’une partie du réel ou d’un phénomène (1). Si l’on prend le modèle classique de l’atome, on voit bien qu’il a évolué à travers les âges.

Le problème est que certains modèles sont sans doute responsables de la persistance de croyances qui ont joué un rôle de frein dans le développement de nouvelles connaissances. Par exemple, dans le domaine de la douleur, le modèle biomédical a perpétué la notion de dualisme cartésien et a retardé l’émergence du modèle biopsychosocial (2).

Un autre exemple est celui du modèle des nocicepteurs qui a créé, si ce n’est renforcé, un amalgame entre douleur et nociception : en 1986, Patrick Wall et Steve McMahon écrivaient : "The labelling of nociceptors as pain fibres was not an admirable simplification but an unfortunate trivialization" (pouvant se traduire par : l’étiquetage des nocicepteurs en tant que fibres de la douleur n’était pas une simplification admirable mais une banalisation malheureuse).

Pour résumé, souvenez-vous toujours des paroles de Paul Valéry :
"Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable."

COMMANDEMENT N°8 : « Attention avec les modèles sauf s’ils sont TOP ! »

Références

(1) Gilles Willett, « Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? », Communication et organisation, 10 | 1996, http://communicationorganisation.revues.org/1873

(2) Quintner, J. L., Cohen, M. L., Buchanan, D., Katz, J. D., & Williamson, O. D. (2008). Pain medicine and its models: helping or hindering?. Pain Medicine, 9(7), 824-834.

(3) Wall, P., & McMahon, S. (1986). The relationship of perceived pain to afferent nerve impulses Trends in Neurosciences, 9, 254-255